Irvin Kershner, 1980 (États-Unis)
« Non, je suis ton père », que je déteste cette réplique. Secret le mieux gardé par l’équipe du film avant sa sortie en 1980, phrase non prononcée lors du tournage et changée en post-production quand David Prowse qui joue Dark Vador et que l’on n’entendait pas sous le masque se voit doublé par James Earl Jones, révélation cruciale dans l’histoire de la saga, affirmation autour de laquelle un véritable mythe s’est construit et certainement aussi autour duquel on a beaucoup brodé. La réplique de trois secondes est pourtant parfaite dans L’Empire contre-attaque de Lucas et Kershner, film qui reste, en outre, à la veille du Réveil de la force et de la déferlante (sous- ?) culturelle et (sur-) commerciale « Star Wars – Disney », le meilleur opus de la saga.
Mais, alors qu’ils n’avaient pas dû beaucoup retenir l’attention dans les années 1980 [1], ces cinq mots ont connu une autre fortune depuis la contamination de nouvelles générations de spectateurs, public conquis notamment (sans toutefois trop forcer, les parents et les supermarchés faisant l’éducation de leurs enfants) avec la réédition de la première trilogie en 1997, vingt ans après le premier épisode donc [2], quand La guerre des étoiles en version française portait encore ce titre [3]. La petite phrase a été récupérée et (mal [4]) répétée tant de fois qu’elle aurait même pu devenir aphorisme ou dicton populaire si elle avait été porteuse d’une idée plus accessible et plus directe, tel un « Try not. Do or do not. There is no try » prononcé par maître Yoda et entendu dans le même film mais qui n’a pas tant marqué (Star Wars devenant une religion nouvelle, avec ses prêtres, ses dévots, ses croyances, ses apparitions, sa liturgie… il est normal que la langue et les us, comme les paysages [5], voire les sociétés dans leur ensemble pourquoi pas, s’en imprègnent). Bref, le fameux « No, I am your father » en v.o. ou non s’est donc répandu au point d’envahir les conversations de geeks (ou ceux qui en cultivent les symptômes), d’être imprimé sur quantité de produits dérivés (le préservatif « Je ne serai pas ton père » étant, si je puis dire, le pompon) et d’apparaître çà et là dans les dialogues de séries et de productions hollywoodiennes diverses.
Une réplique culte ? Non, un virus. On était emporté par le dialogue dans le film (aujourd’hui plus tout à fait : la réplique passe et Luke tombe) et amusé lors des premiers détournements (La folle histoire de l’espace de Mel Brooks en 1987 ou plus tard lorsque l’Empereur Zorg révèle son lien de parenté à Buzz dans Toy story 2, Lasseter, 1999). En dehors du cinéma, on peut encore sourire lorsque les jeunes parents qui ont grandi avec les films se réapproprient une ou deux fois ce « je suis [vraiment] ton père » en famille. Mais véritable phénomène, presque une « maladie auditivement transmissible » (d’après l’expression de Frédéric Pommier, journaliste amusé ou agacé par nos tics de langage, car il s’agit d’une affaire semblable), d’avoir été tant de fois répétée, tout le second degré de la parodie s’est épuisé et il faudra un peu de subtilité aux scénaristes et aux dialoguistes pour divertir à nouveau avec la phrase en question (Kung-Fu Panda 3 de Jennifer Yuh en 2016 ? On craint que non) ou simplement faire de Star Wars un clin d’œil. D’autant que l’on garde à l’esprit la plus stimulante des évocations de Star Wars au cinéma : Kevin Smith, geek de son état, qui en 1994, lors d’un dialogue mémorable entre Dante (l’employé du bar-tabac) et Randal (l’employé du vidéoclub), soulève avec pertinence, cool et sérieux (on est au comptoir du bar-tabac) des questions éthiques et politiques en comparant L’empire contre-attaque et Le retour du Jedi (Marquand, 1983). Dans Clerks, il n’est pas question d’une blague de fainéant, d’un simple « je suis ton père » glissé pour signaler au spectateur que « nous aussi, on en est »… Par ce dialogue argumenté, à la fois anodin et jubilatoire comme ceux que l’on apprécie chez Tarantino, Kevin Smith joue avec la mythique trilogie de la plus habile des façons ; l’échange entre Dante et Randal montre d’ailleurs toute l’ambiguïté des relations entretenues par les fans avec Lucas-Dieu-le père, faites d’amour et de haine, d’une grande déférence et de multiples railleries, des frissons procurés dès les logos affichés de la 20th Century Fox et de Lucasfilm aux déceptions d’un scénario jugé trop simple, d’un personnage ridicule ou d’une incohérence idiote.
A présent, je n’ose imaginer le pire avec cette réplique usée que je ne veux plus avoir à l’oreille. L’entendre le 18 décembre 2015 (mes oreilles ne souffriront-elles pas quand je ferai la queue pour acheter mon ticket ? J’en doute) dans la salle face à L’Épisode VII, J. J. Abrams ayant trouvé bidonnant de la placer dans la bouche d’Harrison Ford s’adressant à Adam Driver ou de Max von Sydow s’adressant à Daisy Ridley. L’horreur !
[1] Il serait intéressant de se rendre compte de l’intérêt réel qu’a pu susciter cette brève phrase à une époque probablement davantage fascinée par des effets spéciaux inédits et cet univers incroyable que par une seule ligne de dialogue, aussi importante soit-elle pour le récit. Certes, l’idée même et ses implications dramaturgiques ou scénaristiques ont produit leur effet de surprise, mais je ne suis pas convaincu que la réplique ait alors davantage été retenue que l’idée.
[2] Les films de 1977, 1980 et 1983 deviennent ainsi des « éditions originales » et les films de 1997 corrigés et nettoyés deviennent des « éditions spéciales ».
[3] Selon Wikipedia, à l’article « Star Wars », ce n’est qu’après le commencement de la deuxième trilogie, Star Wars, épisode I : La menace fantôme de Lucas en 1999, que le film est exploité sous le titre complet Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.
[4] Lire par exemple, Ben Child (et non pas « Ben’s child », car non, je ne suis pas son père !), « Darth Vader line is the daddy of film misquotes, finds poll » dans The Guardian, 11 mai 2009 (consulté en août 2015).
[5] Voir l’excellent « essai de géographie urbaine transgalactique » d’Alain Musset, De New York à Coruscant : essai de géofiction, Paris, PUF, 2005.
Intéressant point de vue analytique sur une réplique entrée dans le bréviaire du cinéma. Une réplique qui, très étrangement, est toujours citée de manière partielle ! Car si je ne m’abuse, la réplique du film est celle-ci : « Je n’ai pas tué ton père, Luke. Je suis ton père. » Autrement dit, une citation à la portée philosophique assez limitée dans sa version tronquée, mais qui prend un tour oedipien une fois rendue à son intégrité. J’aime assez ta remarque sur l’impact de cette petite révélation noyée dans le maelstrom des effets spéciaux, un indicateur intéressant (voire significatif) de la focalisation du spectateur à cette époque, où l’on trouvait encore matière à gloser sur le film le lendemain à la pause café (syndrome « mais qui a tiré sur JR ? »). Un peu de scénaristique-fiction maintenant : que serait-il advenu de cette saga si George Lukas avait eu la mauvaise idée de faire péter Dark Vador avec son pote Peter Cushing dans le bouquet final de « la Guerre des Etoiles » ? plus de pater noster, pas plus de nouvel espoir et encore moins de Retour du Jedi prochain.
Je ne sais pas si la faute sur G. Lukas est volontaire mais, du coup, ce Lucas – Luke, c’est une chose à laquelle je n’avais plus pensé, après les interprétations politiques et géopolitiques, mythologiques et autres parallèles divers et variés comme avec la geste arthurienne ou avec les arts martiaux japonais, la plus simple identification de l’auteur avec son personnage principal m’était sortie de l’esprit. Il me faut revoir George Lucas in love de Joe Nussbaum qui est de la même année que l’Episode I (1999).
Sur la citation exacte, pardon d’être tatillon, c’est avec un extrait plus large du dialogue « – Si seulement tu connaissais le pouvoir du côté obscur. Obi-Wan ne t’a jamais dit ce qui est arrivé à ton père.
– Il m’en a dit assez. Il a dit que vous l’avez tué ! – Non. Je suis ton père. » Ce qui ne change pas grand chose à ton propos.
Et la scénaristique-fiction, je suis preneur.
Mea culpa. Que de bourdes ! Je crois que mon inconscient s’empare désormais du clavier : « My name is Lucas » aurait presque pu fredonner le padawan aux 3 K (KKK : AnaKin SKywalKer) avant de revêtir sa cagoule.
STAR WARS ET LE CANCÉREUX
Le réveil de la force sort le 16 décembre 2015 en France et Disney prend plus d’avance pour en faire la promo que les supermarchés ne préparent les fêtes de Noël. Comme les pères Noël de têtes de gondole, les décos sur les panneaux en bord de route ou comme les jouets qui envahissent les vitrines et leurs catalogues les boîtes aux lettres, en ce moment le régime est aux Jedis, aux Wookies et aux autres personnages de la saga sous tous les formats, sur tous les supports. Il n’y a pas un jour qui passe sans que notre cerveau n’enregistre consciemment ou pas de la matière Star Wars.
Je suis impatient d’être installé dans une salle de cinéma, de voir le film, et avec une excitation telle que je souhaite également le voir aussi vite que possible (et dans de bonnes conditions, si je sais que l’exploitant de ma petite salle de ciné voisine ne le passera pas en version originale, faites qu’il le passe -et je suis conscient que la forme employée ici est celle d’une prière au sujet de Star Wars– au bon format et sans coupure au générique). Mais si l’on veut rester à l’écart du récit, voir le moins d’images possibles du film de J. J. Abrams et garder une surprise totale, c’est quasiment mission impossible.
Enfin, le problème n’est pas là, ni d’ailleurs que Disney fasse 4 milliards de recettes avec Le Réveil de la force et se rembourse l’achat de la franchise dès le premier film sorti sous sa bannière. Le problème est dans les choix parfois opérés par Disney pour assurer la promotion du film. Strictement commerciaux par exemple, quand il s’agit pour Disney, qui fait d’une femme, incarnée par Daisy Ridley, le personnage principal de l’Episode VII (même si Léia n’était pas complètement inactive dans les premiers épisodes ni Padmé Amidala un simple objet de décoration), d’expliquer que la tenue d’esclaves de Léia vue dans Le Retour du Jedi (1983) pose aujourd’hui problème et qu’elle ne sera plus commercialisée, étant jugée trop machiste. On retire donc le bikini des produits dérivés, plus de costume ni de mug à l’effigie de Carrie Ficher courtement vêtue ; un peu comme si l’on avait soudainement voulu rhabiller numériquement Ursulla Andres lors d’une réédition de James Bond contre Dr. No (diable ! et si j’étais en train de donner là une idée !).
Hier, un cap a cependant été franchi lorsque les médias ont relayé une info avec un titre qui pouvait ressembler à « Il a vu le dernier Star Wars avant de mourir ». J’ai découvert le sujet sur Allocine sans lire l’article associé et n’ai vraiment pris conscience du contenu qu’en le voyant développé dans les journaux télévisés (France2 en l’occurrence, mais j’imagine que cette rédaction n’est pas la seule à y avoir consacré un reportage). Mais sur quoi Disney communique-t-il avec ce type d’info ? Ce n’est rien d’autre que la poursuite d’une promo quotidienne déjà massive et que je trouve cette fois assez malsaine. Disney opère-là une communication comparable à celle de ces grandes firmes qui réservent une part de leur budget aux bonnes œuvres (création d’un orphelinat au Cambodge, financement d’un hôpital au Tchad…), à la différence près qu’il ne s’agit ici que de pure communication et que cela ne coûte rien à la multinationale. Mais que doit en penser le spectateur ? Ou plutôt qu’est-ce que Disney a pensé pour lui ? Le sujet doit-il lui inspirer de la compassion pour le malade ? Faut-il avoir de l’apitoiement pour lui ? Rien que cela, c’est gênant. Mais concernant un tel film et l’attente créé autour de celui-ci, on se demande même si certains ne vont pas penser que ce fan mourant a eu de « la chance » d’avoir été le premier spectateur mondial du Réveil de la force. Et là ça devient malsain.
Le bikini de Léia jeté à la poubelle c’était avant hier, le fan mourant c’était hier, je tremble pour aujourd’hui et espère de tout cœur être absorbé par autre chose pour ne rien entendre de « nouveau » sur Star Wars.
Pas de bol en somme pour ceux qui passeront du côté obscur le 15/12 au soir : ils n’auront pas eu le privilège, « la chance » (l’honneur ?) de voir le Réveil de la Force. Disney invente la nécropromo mais de toute façon, la Firme aux Grandes Oreilles n’en a cure puisque le film semble déjà bien parti pour être rentable avant même sa sortie !
En fait, l’idée du gars qui voit le film avant de mourir vient tout droit d’un film autour de ce sujet, appelé Fanboy : une bande de geeks fans de Star Wars retrouvent l’un des leurs qui, lui, a “grandi”. Ils lui apprennent que l’un des leurs, son ancien meilleur ami, est atteint d’un cancer. Ils décident donc d’aller au Skywalker ranch pour voler la copie de La menace fantôme qui sortira selon les prévisions après la mort de leur pote. Tout le film est road movie où pullulent les guests (Carrie Fisher, Billy Die William…), les allusions à la saga mais aussi à d’autres films de Lucas (THX 1138)… C’est vraiment drôle. Lucas a vu le film après un premier montage et l’a apprécié : il a donc autorisé le réalisateur à utiliser les sons originaux de la saga. Mais la fin n’épargne pas le film de Lucas…
En échangeant sur les réseaux sociaux, on me signale qu’Abrams avait déjà donné la possibilité à un fan malade de voir un film en exclusivité, c’était pour Star Trek into darkness et c’était aussi pour une personne atteinte d’un cancer. C’est donc Abrams le philanthrope, mais plutôt que de verser dans le conte de Noël un tantinet lacrymal, le geste gagnerait vraiment en valeur s’il était fait en toute discrétion.