Michael Mann, 2009 (États-Unis)
L’ouverture de l’histoire de John Dillinger se fait en un espace aride, une prison dans un désert. Déjà une évasion, des tirs de mitraillettes, un homme abattu et Dillinger ne lâche pas sa main avant de se rendre compte qu’il ne vit plus. L’automobile file et le compagnon de fortune mort glisse sur le sol dans la poussière… Les lieux ont la couleur d’une époque révolue et John Dillinger rêve de lui échapper. Nonobstant une fuite effrénée, c’est bien à ces années qu’il appartient.
1933. Al Capone était enfermé depuis deux ans. Les journaux lui trouvèrent des remplaçants (Clyde Barrow et Bonnie Parker). Par sa classe, sa noblesse, une arrogance narquoise, bientôt vint Dillinger. Sa notoriété crut au fur et à mesure des casses et plutôt que les sommes décevantes qu’il volait, peut-être était-ce là la source de sa motivation. Interprété par Johnny Depp (superbe*), il est galant et courtois. Ce criminel n’aimait pas la brutalité bien qu’il acceptât celle de Baby Face Nelson (Stephen Graham) avec qui il lui arrivait d’œuvrer. Il était encore détrousseur pendant que ses semblables se modernisaient (le crime s’organise mieux, s’étale en réseau grâce au développement des systèmes de communication). Par le classicisme de ses pratiques, le gentleman gangster tentait-il de remonter le courant ? Pour Michael Mann, il allait contre son temps et brûlait sa vie. Les valises bouclées, toujours en mouvement, Dillinger ne supportait ni l’enfermement (sans cesse il démontre la perméabilité des prisons), ni le surplace (quelques plans soulignent sa fuite continue : une statuette de lévriers en pleine course, les figures chromées sur les capots des voitures comme le jaguar bondissant…).
Assis sur les bords de fenêtres des Ford ou des Cadillac, chapeau de feutre sur la tête et pistolet mitrailleur au poing, ils ont fière allure ! Ils rappellent immanquablement Les incorruptibles (Brian De Palma, 1987), Michael Mann n’insiste cependant pas sur les clichés du bandit de la Grande Dépression et se concentre sur l’action. Seuls de courts moments interrompent les fusillades (les échanges sont percutants et les impacts réalistes), ainsi dans le club de jazz où Dillinger trouve Billie Frechette (Marion Cotillard, qui ne se contente pas d’un second rôle de french girl) sur le morceau Black bird (interprété par Diana Krall). Les mouvements de caméra, souvent portée (l’image reste fixe grâce au steadicam), sont fluides et rapides (voir la scène montrant Billie qui se déplace dans son appartement, le train en arrière-plan). Les séquences se distinguent par leur grain et leurs couleurs (désaturées, images sombres ou sépias). Mann travaille en numérique et capte une lumière vespérale magnifique (Collateral, 2004, Miami vice, 2006). Les caméras HD et leur longue focale rendent possible des gros plans très détaillés ainsi que des atmosphères qui, hésitant entre onirisme et hyperréalisme, étonnent (Depp dans les bureaux du FBI cadré plein visage ; filmé de cette façon, sa présence accentue le ridicule des investigateurs incapables de reconnaître le renard dans le poulailler).
L’avant-dernière séquence, qui rattache définitivement Dillinger aux années 1930, fait un parallèle très malin entre le bandit Clark Gable et Dillinger Depp. Ayant stoppé sa fuite un bref instant, le 30 juillet 1934, Johnny s’installe dans une salle de cinéma diffusant L’ennemi public n°1 de W.S. Van Dyke (Manhattan melodrama, 1934). Nous laissant entendre qu’il est conscient de son sort, Depp esquisse un sourire en coin lorsque Blackie fait ses adieux… Il sort ensuite du cinéma et s’abandonne au feu de la police. Pour le plus grand plaisir du patron du FBI, John Edgar Hoover (Billy Crudup) et pour Melvin Purvis (Christian Bale) qui le traquait, l’ennemi public numéro un ne sautera plus les comptoirs de banque**. On repense alors à la séquence d’introduction, au corps traîné puis abandonné dans la poussière. Le braqueur de banque romantique disparaît avec le début de la Grande Dépression. Michael Mann n’avait pas été aussi bon depuis Collateral.
* Je m’oppose au propos de Stéphane Caillet (dont l’article, à lire sur Critikat, est par ailleurs plutôt bon) pour qui l’acteur, comme Bale (sûrement a-t-il moins tort pour ce dernier), est « lisse » et dépourvu de charisme. Johnny Depp contient davantage son personnage que d’autres plus célèbres (ses rôles pour Burton ou Verbinski ; Pirates des Caraïbes, Sweeney Todd…) mais son jeu conserve tout son charme et valorise la représentation du gangster qui est faite dans ce métrage.
** Laurent Neumann, « Dan tête brulée », dans L’histoire, n° 343, juin 2009, p.33.