Denis Villeneuve, 2016 (Etats-Unis)
Dire que l’on attendait avec impatience le dernier film de Denis Villeneuve relève de la tautologie, pas forcément parce que Premier contact suscitait des attentes démesurées, son thème ayant été maintes fois rabâché au cinéma ou dans la littérature de science-fiction, mais parce qu’ Enemy, son avant-dernier film (2013), avait déjà su placer la barre très haut et qu’il est désormais de notoriété publique que le réalisateur canadien prépare la suite du cultissime Blade Runner (Scott, 1982). Le bonhomme était donc attendu au tournant et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a une nouvelle fois prouvé toute l’étendue de son talent.
Ne nous voilons pas la face, au vu du synopsis de Premier contact, certains avaient probablement poussé un soupir d’exaspération tant le thème du contact a déjà été usé, voire rincé jusqu’à la corde, par nombre de romans et de films depuis une cinquantaine d’années, dans un sens comme dans l’autre. On se souvient évidemment avec émotion de Rencontres du troisième type (Spielberg, 1977), dont la filiation est ici parfaitement assumée et intégrée, mais 2001 l’odyssée de l’espace (Kubrick, 1968), Independance Day (Emmerich, 1996) ou Contact (Zemeckis, 1997) s’inscrivent également, avec plus ou moins de bonheur, dans cette mouvance de la science-fiction. Il était donc parfaitement légitime de se demander dans quelle mesure Denis Villeneuve pouvait apporter un peu de de sang neuf à un thème que l’on croyait exploré sous toutes les coutures. Premier élément de réponse, et pas des moindres, Premier contact n’est ni un film d’action ni un film catastrophe, le réalisateur préférant une approche plus intimiste, centrée sur le personnage du Dr. Louise Banks (Amy Adams), linguiste de renom et experte en traduction. Second élément de réponse, plutôt que de séduire le spectateur par une débauche d’effets spéciaux, Premier contact fait appel à son intelligence et l’invite à la réflexion, le tout sans jamais le tenir par la main (oubliez le didactisme maladroit de Nolan dans Interstellar, 2014). Le film montre davantage qu’il n’explique, laissant libre cours à l’implicite et à l’interprétation.
Oui mais bon, de quoi ça parle finalement Premier contact ? Le film met en scène l’arrivée sur Terre de douze artefacts géants de forme ovoïde qui se jouent de la gravité, n’émettent aucune onde électromagnétique, aucune radiation, voire même aucun son. Ces big dumb objects permettent au spectateur d’évoluer en territoire connu et de se dire que l’artillerie lourde va rapidement entrer en action ; on se demande d’ailleurs pour quelles raisons la Maison Blanche n’a pas explosé sous le coup d’un puissant rayon laser venu d’un vaisseau mère, histoire de faire les présentations avec nos amis extraterrestres de manière un peu virile. La stratégie offensive des aliens ne semble d’ailleurs guère conventionnelle puisque leurs points de chute se répartissent de manière aléatoire sur la planète. L’un des vaisseaux lévite tout simplement au-dessus d’une plaine bucolique du Montana. On a vu mieux comme menace directe. Au bout de vingt minutes de film, aucun coup de feu n’a encore retenti, pas la moindre grenade à fragmentation, pas l’ombre d’un pain de C4, même pas un missile tomahawk si cher aux Américains, rien, que dalle, nada. un scandale ! Pire, le film semble davantage s’intéresser aux états d’âme d’une certaine Louise Banks, docteur en linguistique, universitaire de renom et traductrice hors pair. C’est certain, c’est très mal parti pour l’action débridée et la débauche d’effets pyrotechniques (il y aura tout de même une explosion au cours du film, l’honneur est sauf). On s’en doutait, le Dr. Banks est rapidement approchée par l’armée américaine, qui souhaite établir le contact avec ces artefacts, mais qui se heurte à quelques problèmes de communication un tantinet épineux. Louise est donc embauchée comme experte en traduction et emmenée sur le site du Montana pour pénétrer dans l’artefact géant en compagnie des militaires et d’un autre scientifique, le physicien Ian Donnelly (Jeremy Renner). C’est évidemment à cet instant crucial que le véritable film commence et que le spectateur réalise que Premier contact n’a rien d’un nanar hollywoodien conventionnel. Bien que le film s’emploie à dresser un panorama assez réaliste de l’impact sociétal et géopolitique que représente l’arrivée des extraterrestres sur la planète (scènes de panique et de pillage, manque de concertation et de gouvernance au plan mondial, montée de la paranoïa et réactions irrationnelles), tout cela reste à la marge pour se concentrer sur le cœur du propos initial, à savoir la prise de contact avec une autre forme d’intelligence et le difficile apprentissage de la communication entre deux espèces qui tentent de réunir les outils nécessaires à la bonne compréhension de l’autre. Sur ce point, le film est absolument remarquable et sans concession, n’hésitant pas à s’aventurer sur des pistes fort peu cinégéniques (on a vu mieux qu’une illustration par l’image des théories de l’information et de la communication pour attirer le spectateur). Mais contre toute attente, la démonstration fonctionne parfaitement, d’autant plus que Denis Villeneuve a eu l’intelligence (ou la malice) de préserver certains codes propres à la science-fiction ; nombre de fans de SF râleront immanquablement en apprenant que les fameux extraterrestres sont des poulpes géants, mais l’idée est pourtant brillante puisque pour la première fois, ces monstres à sept pattes sont pacifiques et incroyablement plus avancés que les humains. Un renversement de perspective qui n’est sans doute pas anodin. Traitant brillamment la question de l’altérité, Premier contact s’inscrit dans la droite lignée de Rencontres du troisième type, en prolongeant le propos là où le film de Steven Spielberg s’était arrêté. Évidemment on pense à d’autres œuvres majeures de la science-fiction anglo-saxonne, littéraires cette fois, comme L’enchâssement de Ian Watson (qui traite avec beaucoup d’intelligence la question du langage et de la manière dont il façonne notre rapport au monde), Un cas de conscience de James Blish ou bien encore Génocide, de Thomas Dish. Mais bien que volontiers anxiogène à l’occasion, Premier contact se montre néanmoins bien moins pessimiste que les œuvres citées ci-dessus, distillant une bonne dose d’optimisme au milieu de ce qui s’annonçait comme un chaos généralisé.
Inventif, tant sur le plan visuel que sur celui de la narration, Premier contact est un film non dénué de défauts (il subsiste hélas quelques facilités scénaristiques), mais profondément stimulant, irrigué par toute une tradition intellectuelle de la science-fiction, celle qui amène le spectateur à réfléchir, celle qui lui fait éprouver un profond vertige face aux perspectives qu’elle ouvre, celle qui titille son intellect plutôt qu’elle ne flatte ses plus bas instincts. Mais il manque pourtant au film de Denis Villeneuve une dimension sociétale véritablement ambitieuse, que se passera-t-il le jour où l’humanité sera confrontée à une autre forme d’intelligence, elle qui s’est construite sur des croyances, souvent religieuses, incroyablement tenaces ? Sera-t-elle capable d’affronter la concurrence d’une intelligence supérieure (même pacifique) ou s’effondrera-t-elle sous le poids de ses propres peurs ou de sa bêtise, elle qui se croyait unique et si singulière ? Le film n’y répond pas tout à fait, recentrant son propos sur l’intime, au risque d’oublier en cours de route son sujet initial.
Je ne crois pas être trop amateur des films de Denis Villeneuve, en tout cas des films vus jusqu’à présent (Sicario, à mes yeux clairement raté, et Incendies, au récit fort et surprenant mais qu’il me faudrait revoir et peut-être réapprécier).
Pourtant, Premier contact est loin de m’avoir déplu.
Je commence néanmoins par ce qui m’a gêné. C’est cette astuce qui permet à l’héroïne de trouver une issue à l’impasse dans laquelle le récit les conduit progressivement : elle a des visions, elle voit l’avenir. Je ne sais pas si c’est une mauvaise digestion du roman de Ted Chiang L’histoire de ta vie (1998), dont il est une adaptation, ou si le roman est lui-même maladroit sur ce point, mais cette astuce me dérange. Ou bien il y a un lien entre l’arrivée d’extraterrestres et la capacité à voir l’avenir que je ne parviens pas à saisir.
L’histoire porte sur le langage et la communication, sur le travail de traduction. On voit beaucoup Louise Banks à son bureau, devant des écrans, aller chercher de nouvelles informations, les étudier… Je trouve par conséquent presque dommage que la solution au conflit imminent ne vienne pas de là. Il faut que la réponse soit dictée du futur, autrement dit une réponse livrée sans effort, presque imposée, comme si le personnage d’Amy Adams n’était réduit tout d’un coup qu’à celui d’un exécutant, d’un simple intermédiaire… L’importance de la communication s’en trouvant ainsi amoindrie dans le film.
Pour le reste, pour tout le reste, Premier contact a de réelles qualités, ce que tu mets très bien en avant dans ton article. Sobriété des décors, partis prisradicaux (aliens plongés dans la fumée, couloir grisâtre et tentes comme principaux lieux d’échanges, une plaine et non plus une grande métropole mondiale comme théâtre d’action), la place privilégiée accordée au langage et à la communication (entre les individus, entre les nations, entre l’humanité et les aliens) et enfin la prédominance du récit personnel.
Villeneuve fait là des choix qui rassurent un peu pour Blade runner. Reste à espérer maintenant pour ce dernier que le scénario soit suffisamment consistant…
Je comprends tout à fait certaines de tes réticences concernant l’élément temporel du film, ça donne au film un côté un peu déterministe et effectivement ça surcharge le récit. Sans cet élément, je pense que le film se suffisait à lui-même effectivement.
En revanche, il faudrait que je le revoie, mais je ne suis pas certain que l’arrivée des aliens et la révélation des nouvelles capacités du Dr Banks n’aient aucun rapport. A mon avis ce sont deux faits intimement liés. Ceci dit, je m’en vais relire la nouvelle de Ted Chiang (excellente suggestion).
Bon allez zou, relu la nouvelle de Ted Chiang, qui éclaire d’ailleurs quelques zones d’ombre du film et notamment la capacité à lire l’avenir. Cela apparait mal dans le film mais l’idée est mieux développée dans la nouvelle. En réalité Ted Chiang joue sur l’opposition langage dynamique (non prédictif) / langage mécanique (prédictif). Pour résumer, les aliens maîtrisent une forme de langage qui nous est inconnue et qui leur permet de prédire le futur par l’intermédiaire de l’écriture. C’est-à-dire qu’au moment même où ils écrivent, ils devinent les intentions de leur interlocuteur avant même qu’il les manifeste. En gros, en communicant ils prédisent le futur (raison pour laquelle ils anticipent l’explosion de la bombe quelques secondes avant qu’elle ne se déclenche). En apprenant le langage des aliens, le Dr Banks finit par acquérir elle-même cette capacité à prévoir le futur, l’idée est fascinante mais pas forcément bien retranscrite dans le film. Une fois que Banks maîtrise cette forme de langage, les aliens considèrent que leur mission est remplie et quittent la Terre après avoir livré leur plus précieux cadeau à l’humanité : leur langage.
C’est très proche du roman de Ian Watson L’enchâssement, forme de langage que les aliens utilisent (c’est clairement indiqué dans la nouvelle de Chiang).
Bon en fait, c’est vachement mieux expliqué dans cet article de Rémi Sussan.
On peut cueillir quelques informations supplémentaires dans le making-of, « la xénolinguistique : comprendre Premier contact » (édition blu-ray), même si malheureusement il n’évite pas les louanges des uns aux autres un peu lourdes et habituelles à ce type de reportages. De plus petits bonus nous informent aussi sur le montage (« Pensée non linéaire ») ou la musique.
Quinze minutes de plus intitulées « Principes du temps, de la mémoire et du langage » reprennent certains points de physique (l’absence de linéarité avec la relativité d’Einstein, le passé, présent et futur conçus comme des éléments inscrits ou gravés dans un même bloc et donc inchangeables -on en revient au déterminisme évoqué bel et bien constitutif des hypothèses envisagées dans le film, déterminisme, et je dis peut-être là une bêtise, qui semble très bien accepté en physique-…). Ted Chiang intervient à plusieurs reprises et explique notamment la genèse de sa nouvelle (entre autres, la manière dont il s’est servi de l’hypothèse Sapir-Whorf).
J’ai adoré Premier Contact même si je comprends les quelques bémols que tu soulignes. Face à ce lot de films de SF qui sortent, c’est pas toujours facile de se distinguer mais le film de Villeneuve y arrive très bien ! J’ai trouvé ça beau, profond, envoûtant et enrichissant. Amy Adams est également excellente et je ne comprends pas son absence aux Oscars !
Il y est question de communication avec une intelligence extra-terrestre, le langage utilisé y est présenté comme mathématique et scientifique, une femme en donne la clef après se l’être fait souffler par un tiers (un milliardaire mourant qui fait beaucoup penser au Peter Weyland d’Alien-Prometheus), une jeune femme tournée la tête vers les étoiles qui, père et mère décédés, n’a plus aucune attache familiale et peut prétendre à un voyage spatial pour rencontrer une forme de vie nouvelle… Une femme qui finalement de retour su Terre pourra fonder un foyer…
Il est étonnant de voir qu’Arrival de Villeneuve entretient plus d’un lien avec le Contact de Zemeckis (1997).
Bon, je n’avais pas tout compris à sa sortie. En revoyant Premier Contact, qu’au bout de trois fois je finis par adorer, je me rends compte que le film évolue à différents degrés de lecture.
3 x l’inconnu
Le film nous laisse devant trois énigmes. La première est ce que veulent les aliens -les extraterrestres, qui sont étrangers donc inconnus- (à savoir partager et coopérer pour le bien commun). La deuxième est celle de Louise Banks et de ses visions mystérieuses (autant d’indices qu’elle doit mettre en relation pour comprendre et décider comment agir). La troisième est en lien avec le cinéma lui-même, la métaphore que l’on peut voir avec la salle obscure du vaisseau (un grand rectangle blanc et des spectateurs devant, face à l’inconnu).
La première énigme sera résolue en luttant contre un premier réflexe de repli sur soi et d’agressivité à l’égard de l’alien (ce que montre le film tout du long).
Dans la deuxième, c’est une relation amoureuse qui est décrite et l’histoire d’un couple avec une enfant. Le récit présente ce qui va advenir et il s’agit pour Louise de faire face à un trauma. Je ne voudrais pas exagérément rapprocher Premier Contact de Gravity (Cuarón, 2013) et de son personnage de mère endeuillée… Mais il y a encore ici de quoi tisser des liens.
Dans la métaphore cinématographique, le spectateur associe ce qu’il voit et entend, comme Louise avec les symboles extra-terrestres, pour comprendre non pas une langue, mais le récit et son propos.
Les trois trames se rejoignent sur plusieurs points : la communication entre les êtres -une communication capable de rétablir la paix dans le monde, ou une communication rompue quand une femme n’est plus comprise par son conjoint-, le « fruit » d’une relation internationale (la coopération) et celui entre un homme et une femme (l’enfant)… Et plus que tout l’acceptation de l’inconnu quel qu’il soit.