Sydney Pollack, 1985 (États-Unis)
Sydney Pollack a aimé raconter les histoires amoureuses sous fond de crise sociétale. Parmi ces premiers films, Propriété interdite (1967) suivait la rencontre de Robert Redford et de Natalie Wood durant la Grande Dépression. Dans Nos plus belles années (1974), il filme Redford et Barbra Streisand entre 1937 et 1950, de la montée de la guerre mondiale au refroidissement des relations internationales. Ouf of Africa commence en 1913 et la Grande Guerre vient troubler les habitudes des colons européens, bourgeois et aristocrates, venus profiter des richesses du Kenya.
La jeune danoise Karen (Meryl Streep) prend la décision de se marier avec le frère de celui qui a été la cause d’une précédente déception amoureuse, le baron Bror Blixen (Klaus Maria Brandauer) qui a le projet d’une exploitation caféière au Kenya. Le baron préfère la chasse à sa femme qu’il trompe aussi avec d’autres gazelles. Karen ne reste pas longtemps seule. A plusieurs occasions, elle croise le chemin de Denys (Redford), aventurier des savanes, qu’elle séduit par son cran (pour traverser un territoire massaï contre les recommandations de ses proches ou face à une lionne) et par ses histoires imaginées (le fondu enchaîné de la flamme d’une bougie au feu de cheminée, le visage de Denys entre les deux, comme symbole visible d’une passion naissante). Karen, devenue baronne, avec sa vaisselle de Limoge et ses domestiques noirs, est une propriétaire généreuse (elle soigne les Kikuyus qui travaillent pour elle, tient à l’éducation des enfants de la tribu qu’elle a tendance à considérer sienne). Le seul qu’elle ne peut retenir à ses côtés, c’est Denys, attaché à sa liberté.
De par son retentissant succès (sept Oscars en 1986 dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur), Out of Africa ouvre la voie aux grandes fresques sentimentales. Que serait le cinéma d’Anthony Minghella sans le film de Pollack (Le patient anglais, 1997, Retour à Cold Mountain, 2004) ? Australia de Baz Luhrmann (2008) n’en est-il pas une grotesque protubérance ? Plus anecdotique, est-ce que le point de départ (une femme âgée qui se souvient et de laquelle commence le flash-back constituant tout le récit du film) n’est pas source d’influence pour Titanic de Cameron (1997) ou Benjamin Button de Fincher (2009) ? Out of Africa tient aussi du mélodrame et, sans chercher l’effusion de couleurs, développe un romanesque tel qu’on le ressent dans l’œuvre de Douglas Sirk.
Ce film est l’adaptation d’un chef-d’œuvre signé Karen Blixen dont un autre texte extrait des Anecdotes du destin a été porté à l’écran : Le festin de Babette, film de Gabriel Axel, avec Stéphane Audran dans le rôle principal, et l’on peut y voir une grande chef cuisinière et restauratrice, victime des forces versaillaises qui ont réprimé la Commune de Paris en 1871, venir trouver refuge chez les deux filles d’un Pasteur luthérien au Danemark, et proposer avec le gain d’un jeu de loterie d’organiser un formidable repas à la française qui transformera les austères et invivables membres d’une petite communauté protestante parcourue par d’énormes divisions et discordes en tout genre au point de les remplir d’aise et de les réconcilier tous autour de la table, un peu comme si le Christ était passé par là en un nouveau Jeudi Saint et une nouvelle Cène.