James Mangold, 2010 (États-Unis)
RÊVES EN CASCADE
Une silhouette de dos dans un aéroport, comme un intrus dans le champ de vision, une ombre devant l’objectif. Glace à la bouche et lunette noire. Un chevalier en symbole. Servant ? Preux ? Avec l’accordéon de la bande son, tout équipé pour la romance… Ou l’inverse, chevalier noir, mauvaise augure d’un cauchemar à fuir ? Dans ce même espace public et parfaitement anonyme, chargée de carburateurs et de pots d’échappement pour voitures de collection, une jolie blonde apparaît. Entre la fille et le chevalier, par deux fois l’accrochage provoqué. Le prétexte vite pensé d’une pile d’énergie aux capacités extraordinaires. Par deux fois la rencontre qui décide de l’aventure à suivre à la poursuite du McGuffin. Un instant plus tard, dans l’avion, après un jeu de séduction à peine ébauché, sous les yeux éberlués de la blonde boniface au nez tout juste repoudré, le drôle d’obligeant fait éclater l’action en un bouquet de coups et de tirs qui dans un grand fracas met aussi bien les méchants (le but poursuivi) que l’avion (conséquence tout à fait fortuite) à terre. Premier évanouissement de la fille, première ellipse.
Deuxième accélération. La fille est en robe jaune pour un mariage à venir (non pas le sien). Toujours avec des lunettes noires et le sourire aux lèvres, lui tombe (du ciel) sur le capot de sa voiture. Dans un grand remue-ménage, les véhicules sont projetés tout autour avec cris et nouveaux coups de feu. Pas de repos ou si peu (deviné dans le creux d’une coupe entre deux plans enchaînés) qu’une nouvelle fusillade les cueille au réveil. La demoiselle devenue hystérique de tant de fureur n’y tient plus. Fondu au noir. Lui tête en bas : « Ne vous fiez pas aux apparences. Tout va bien. Je gère ». Évanouissement en cascade. Comme la plongée précipitée dans les profondeurs de l’esprit. Puis, un rêve dans le rêve, moins explosif et plus posé : Tom Cruise sur une plage des tropiques, transformé le temps d’une prise en corps de publicité, une sortie d’eau digne d’un James Bond (Casino royale, Campbell, 2006). Cameron Diaz en bikini rose. Carte postale d’un paradis perturbé par l’envahissement renouvellé d’une décidément très soporative pyrotechnie.
Réveil dans un train durant la traversée des Alpes autrichiennes et milieu du film : toute première initiative combattante de la demoiselle plongée bien malgré elle dans la rixe : un coup de poing. Le chevalier un instant k.o. décide la belle à passer à l’action même s’il ne faut que peu de temps ensuite pour la retrouver la tête dans un sac, enlevée et déplacée chez le grand méchant à Séville un jour de Feria. Retour du chevalier en moto avec lunette noire et sourire séducteur en coin, quelles que soient les circonstances, même coursé par les taureaux de la fête, des rues aux arènes… Plus loin, à Washington, c’est lui qui se réveille. Premier vrai changement de point de vue et, à présent, c’est elle qui « gère ». Réveils enchaînés du chevalier sonné jusqu’au caleçon, puis le soleil, la plage, le baiser enfin, un cliché, peu importe, le désir est exaucé et le rêve abouti.
Dans Night and day, autant de brouillons d’un rêve dans lequel la blonde doit être tirée d’une effroyable situation par le chevalier. Ou plutôt autant de rêves qui par une accumulation d’éléments incontrôlables, de parasites et d’intrus deviennent cauchemars. Rien de réussi dans ces rêves, ni de totalement confortable jusqu’à ce que la fille prenne les commandes, comme si le déferlement du désir avait gêné son accomplissement. Night and day : de la passivité de la spectatrice (blonde présupposée décérébrée ou simple ménagère toujours en admiration devant Cruise ?), à la femme d’initiative et d’action. Ou bien… Second changement de point de vue, Night and day en bref résumé des dix dernières années de la carrière de Cruise qui n’existe plus qu’au travers du regard d’un spectateur (spectatrice) qui lutte pour garder les yeux ouverts. Plus vraiment d’attaque face à la déferlante de super-héros, après les dérapages contrôlés au cinéma (Magnolia, Thomas Anderson, 1999, Tonnerre sous les Tropiques, Stiller, 2008, Rock forever, Shankman, 2012) et incontrôlées dans les médias (ses déclarations sur la scientologie ou les sauts excités chez Oprah Winfrey), knight Cruise s’enferme ainsi dans des registres qui, si quand ils le concernent ne convainquent plus, risquent de vite le précipiter en dehors des rêves, des cascades et de l’action. A la spectatrice aimante donc de vite fait le sortir et, afin de préserver son image, avant qu’il ne soit irrécupérable, de le mettre hors champ.