Steven Spielberg, 2005 (États-Unis)
Munich traite du tourbillon de violence qui entraîne Israël et les États arabes dans un contexte d’internationalisation des tensions proche-orientales. Parmi les événements forts de ce contexte, l’assassinat des onze athlètes par un commando palestinien durant les jeux olympiques de Munich le 5 septembre 1972, point de départ du film (superbement mis en scène à travers les rapports faits par les journalistes et les images des différentes télés) [1].
A travers le petit groupe d’agents spéciaux chargé d’éliminer un à un les membres du commando Septembre Noir, Spielberg montre bien l’escalade vengeresse cautionnée et financée par le Mossad. Le fer de lance de l’opération est Avner (Eric Bana) qui au début nous est présenté comme un patriote et un père de famille modèle. Lui et ceux qui l’accompagnent (Daniel Craig, Ciarán Hinds, Mathieu Kassovitz, Hanns Zischler) commencent leur travail proprement. Mais au lait se mêle un sang qui coule abondamment et, avec les cibles initiales, très vite, des innocents sont touchés. Ceux qui réclamaient justice se mettent à douter et voilà les agents spéciaux devenus à leur tour terroristes. Spielberg ne s’en tient pas au seul point de vue israélien et trouve l’occasion de donner également la parole à des activistes arabes ainsi qu’à un groupe secret de renseignements français qui profite aussi bien des uns que des autres (Michael Lonsdale et Mathieu Amalric distribuant les cartes depuis Paris).
Munich parle aussi de tromperie. C’est le sens de la toute première scène : des athlètes américains pensant rencontrer des homologues étrangers les aident à grimper la barrière du village olympique. Malheureusement il s’agit en fait des terroristes palestiniens. C’est aussi le mensonge dans lequel Avner s’enferme et qui l’engage à tuer. Il se rend pourtant bien compte qu’en définitive le feu ne peut combattre le feu (« A-t-on tué pour remplacer les chefs terroristes ou palestiniens ? »).
Le film est long (2h 40 min que l’on voit passer) et la réalisation inégale. Le plus réussi est le film d’espionnage dont les mouvements de caméra évoquent ceux de De Palma : grâce aux reflets d’une vitre ou d’un rétroviseur et grâce à la profondeur de champ, le regard glisse doucement et avec précision de la proie à l’espion. Avec une habileté hitchcockienne, ces observations froides et calculées entretiennent la menace avant que la violence n’éclate. A l’opposé, un montage parallèle nous fait grimacer : lourd rappel de l’obsession d’Avner, la tuerie munichoise vient le hanter jusque dans ses ébats amoureux. Heureusement, la scène qui suit et clôt le film est bien plus convaincante et, par un plan final sur les tours aujourd’hui disparues du World Trade Center [2], fait le lien avec la politique internationale de lutte contre le terrorisme pratiquée par le gouvernement G. Bush depuis le 11 septembre 2001 et encore l’année de production du film.
A New York, Avner est contacté par son employeur du Mossad, Ephraim (Geoffrey Rush). Ils discutent sur les quais du Queens, en face de Manhattan, et derrière eux apparaît le siège de l’ONU. Le bâtiment est visible au loin entre les deux interlocuteurs, avant qu’il ne soit rejeté en bord de cadre dans le plan suivant. Le siège de l’ONU disparaît quand Avner lui tourne le dos et c’est alors que la caméra regarde plus haut vers les tours jumelles. La scène met en évidence la mise à l’écart progressive des Nations Unies sur les questions israélo-palestiniennes et l’importance prochaine des États-Unis comme partenaires privilégiés (accords d’Oslo et de Camp David II sous la présidence Clinton). Elle sous-entend peut-être aussi toutes les tractations et les enjeux qui échappent à l’ONU. Comme un spectre, les tours jumelles qui s’élèvent encore au-dessus de la ville semblent avertir les contemporains américains de la spirale de violence dans laquelle (tout comme Israël après Munich), sous des prétextes de justice et de démocratie, ils pourraient sombrer.
[1] Sur ces événements voir le documentaire La liste Golda du journaliste Emmanuel François (2000).
[2] Le plan a beaucoup fait parler et a, me semble-t-il, été parfois mal interprété. Certains s’égarent en effet en pensant que Spielberg a voulu avec cette image désigner Israël comme co-responsable des attentats du 11 septembre.