Roger Corman, 1964 (États-Unis, Royaume-Uni)
Septième des huit adaptations d’Edgar Allan Poe par Corman [1], et pour le réalisateur premier film anglais [2], Le masque de la mort rouge est un conte à la fois fantastique et gothique (toute l’inspiration de la nouvelle originale), baroque et burlesque (le prisme « cormanien »), en bref et pour reprendre Poe d’une « splendeur barbare ». Dans un Moyen-Âge incertain, évoquant à la fois les temps de peste du XIVe siècle et la Renaissance italienne [3], une maladie pestilentielle redoutable, la mort rouge, emporte tout et tout le monde dans une ronde carnavalesque inédite.
Se croyant à l’abri et en sécurité, dans l’immense château en Technicolor (voir la traversée exagérément répétée de « l’enfilade impériale », une suite de salles monochromes : jaune, mauve, blanche, noire…), le bien nommé Prospero (Vincent Price, excentriquement vicieux et grandiosement détestable) entretient une cour de nobles dans l’opulence et le pécher (on pense aux notables du Joueur de flûte de Demy, 1972). Le mauvais prince, entre Sade et Gilles de Rais, les soumet par la terreur et, au nom de Satan qu’il adore, organise jeux, danses et banquets dont l’extravagance impie n’est censée trouver aucune limite. C’est en forçant la paysanne Francesca à le suivre (Jane Asher d’une rousseur flamboyante), naturellement pieuse et très croyante, et en faisant enfermer son père et son prétendant dans les cachots du château, que Prospero convie sans le savoir la mort rouge en sa demeure. Malgré les pactes conclus avec Satan, ni lui, ni sa compagne Juliana (Hazel Court à la rousseur tout aussi flamboyante) n’auront d’emprise sur la mort car, qui en doutait, « La Mort n’a pas de Maître ».
Dès après minuit, en pleine mascarade, quand l’hilarité et l’ivresse ont pleinement conquis les commensaux, de salon en salon, une silhouette rouge et inquiétante circule. La rattrapant, Prospero croit un instant s’entretenir avec un respectable sbire que le Seigneur des Mouches, depuis ses appartements caverneux et infernaux, aurait lui-même dépêché en ce monde. Cependant, lorsque la mort se révèle et change dans l’instant le ballet de débauche en une danse macabre, un « tourbillon fantastique et fatal » comme Ravel présentait sa valse, le prince cruel réalise qu’aucun diable ne le sauvera plus. Seule une poignée est sauvée de la tourmente écarlate : le couple de paysans chrétiens que le tyran sataniste avait séparé, Saute-crapaud nain amuseur et malicieux ainsi qu’une petite danseuse (tous deux tirés de la nouvelle Hop-Frog de Poe) et d’autres probablement plus chanceux qu’innocents.
Le masque de la mort rouge est souvent considéré comme plus abouti et plus ambitieux que la plupart des autres réalisations de Roger Corman. Un soin particulier est porté en effet aux décors (dont certains sont récupérés en l’état du Becket de Glenville produit la même année [4]) et aux mouvements de caméra (un travelling en forêt et quelques plan-séquence au château) et, face aux productions contemporaines de la Hammer, le film ne blêmit pas. En outre, plusieurs scènes restent en tête : la mort rouge assise contre un arbre qui joue aux tarots avec une enfant (sous l’influence directe de la partie d’échec entre la mort et le chevalier du Septième sceau de Bergman, 1957), le sacrifice de Juliana (la croix renversée qu’elle se marque au fer sur la poitrine et le délire cérémoniel qui, sous la transparence des voiles et le vert des filtres, la voit ensuite percée de lames exotiques), la mascarade finale (gestes et mouvements comparables à ceux que l’on voit plus tard sur la scène du théâtre des vampires d’Entretien avec un vampire de Neil Jordan, 1994). Là, les spectres aux masques de sang assaillent Prospero avant qu’il ne tombe sur son propre visage et ne s’effondre à son tour empourpré de l’horrible rosée.
[1] La chute de la maison Usher (1960), La chambre des tortures (1961), L’enterré vivant (1962), L’empire de la terreur (1962), Le corbeau (1963), La malédiction d’Arkham (1963), La tombe de Ligeia (1964).
[2] Entretien avec Roger Corman dans les Cahiers du Cinéma, n° 672, nov. 2011.
[3] Certains résumés placent le récit au XIIe siècle.
[4] Vincent Avenel, « Une nuit unique et étrange dans son horreur et sa beauté », dossier sur Poe chez Corman parues sur Critikat en mai 2011 (consulté en février 2015).
En effet, le plus resplendissant précipité alchimique « poesque » concocté par Roger Corman, imbibé des lumières saturées et psychédéliques de Nicolas Roeg. Vincent Price en extase shakespearienne comme il se doit et le décolleté toujours généreux de la « hammerienne » Hazel Court rendent cette œuvre indispensable.