Les Vikings

Richard Fleischer, 1958 (États-Unis)

Ouverture sur une animation prenant pour modèle la broderie de Bayeux, un narrateur nous présente le peuple viking, ses croyances et sa violence. Puis, sans transition, c’est le raid en pays anglais, où les guerriers du Nord pillent et détruisent tout. Rien ne les arrêtant, leur chef Ragnar assassine le roi Edwin et viole la reine Enid. Cette introduction à la brutalité redoutable donne le ton. Mais le film de Fleischer déroule ensuite un récit presque shakespearien dans lequel le bâtard qui naît et pourrait aspirer à l’héritage de deux royaumes (en terres anglaises et scandinaves) est chassé et caché, puis devenu esclave se rebelle contre le prince viking, son demi-frère et maître. La rivalité entre Éric l’esclave (Tony Curtis) et Einar le chef (Kirk Douglas) ne cesse de grandir, parce que l’un écrase l’autre et parce que les deux veulent la même femme (Janet Leigh), Morgane destinée à devenir l’épouse d’un infâme roi anglais. Mais le drame est plus grand encore parce que le spectateur dès le début sait que Éric et Einar ont le même père, le roi Ragnar (Ernest Borgnine).

Le scénario (basé sur le roman d’Edison Marshall paru en 1951) ne réserve aux femmes que brutalité et soumission, viol et mariage forcé. Mais le film raconte également à sa façon la lutte d’Éric et de Morgane qui dans leur malheur tombent amoureux. L’union espérée offre au spectateur la seule perspective d’un amour sincère et consenti de toute l’histoire. Seulement Richard Fleischer écarte de la fin toute image convenue, pas de dernier baiser comme c’était souvent le cas dans les productions hollywoodiennes. Ni réconfort ni même jeune couple réuni, Fleischer insiste plutôt sur la mort du guerrier Einar. Le dernier plan avec le drakkar en flammes est une des très belles images du film.

À la photo Jack Cardiff (Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger, 1948, Les Amants du Capricorne d’Alfred Hitchcock, 1949, Pandora d’Albert Lewin, 1951), au décor Harper Goff (Vingt Mille Lieues sous les mers de Richard Fleischer, 1954), le film profite aussi des conseillers techniques et historiques tels que le directeur du Musée des navires vikings d’Oslo, le conservateur de la bibliothèque du British Museum, ainsi que d’un historien de l’Université de Los Angeles (Guillaume Évin, L’Histoire fait son cinéma, éd. de la Martinière, 2013). Il n’y a que la musique signée Mario Nascimbene que je trouve en deçà (une courte mélodie trop répétée et vite lassante).

Plus que le déplacement de l’armée viking vers le fort La Latte (château du XIVe siècle situé à La Roche Goyon en Bretagne), plus que le siège lui-même ou le duel entre Éric le manchot et Einar le borgne sur les hauteurs de la forteresse, d’autres scènes nous marquent mieux. Ainsi, dans la grande salle viking où, avec une fureur et une joie mêlées, se dressent les plans politiques et se vident les cornes de bière (impressionnant tonneau ouvert où les servantes viennent plonger leur jarre pour les remplir). C’est justement à cet endroit que ce tient le « jugement d’Odin » visant à prouver l’infidélité ou l’innocence d’une femme dont on coince la tête au centre d’une roue et dont on cherche à couper les nattes au jeté de hache (décidément on ne les laisse jamais tranquille). Au fond d’une crypte, la fosse à loups chez le cruel Anglais fait aussi sensation (la scène n’aurait pas dépareillé dans un film d’horreur de la Hammer).

Pour revenir sur le sujet, François Amy de la Brétèque (Le Moyen Âge au cinéma, Paris, 2015) fait de la violence des vikings de Richard Fleischer le germe de films qui deux ou trois décennies après enseveliront vertus et noblesse des sentiments dans un âge sombre « moyen-âgeux » tout à fait assumé et de citer La Chair et le sang de Paul Verhoeven (1985) ou Conan le barbare de John Milius (1982), saga dont Fleischer signe une suite avec Conan le Destructeur (1984). Un de ses derniers films, Kalidor (1985), quoique plus léger, découle d’ailleurs du même univers.

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