Ciro Guerra, Cristina Gallego, 2018 (Colombie)
Traffic (Soderbergh, 2001), Escobar (de Aranoa, 2017) ou éventuellement Sicario (Villeneuve, 2015), en voyant Les oiseaux de passage, les films sur les cartels de la drogue viennent vite à l’esprit. Cependant, parce qu’il aborde le sujet de manière inédite et surtout parce qu’il donne cette fois un point de vue sud-américain, ces Oiseaux de passage s’élèvent au-dessus de la plupart des références du genre. Ciro Guerra, à qui l’on doit L’étreinte du serpent (2015) et prochainement la série Netflix Frontera verde, et qui est cette fois épaulé à la réalisation par Cristina Gallego (sa productrice), raconte les débuts du narcotrafic en Colombie, des années 1970 à la fin de la Bonanza marimbera, c’est-à dire la fin de son âge d’or, vers 1985.
Les gros 4×4 qui soulèvent la poussière, les gardes du corps près de la piscine, lunettes noires au nez et fusil sur l’épaule, les paquets de drogue et les liasses de billets font en général l’essentiel de l’imagerie des film de cartels. L’attrait du pouvoir, la corruption, la vengeance et parfois encore les jolis yeux d’une fille suffisent en général à la dissolution des personnages en sang et sueur. Il y a tout cela dans Les oiseaux de passage puisqu’il est dans l’intention des réalisateurs de plonger dans le genre. Pourtant, l’ambition est aussi tout autre.
« Pour moi, c’est un film noir, un film de gangsters. Mais il peut aussi être à la fois un western, une tragédie grecque et un conte de Gabriel García Márquez. »*
Les oiseaux de passage commence par une scène documentaire qui nous fait assister à une cérémonie ancestrale. Encadrée par des matriarches, une jeune femme change de statut et peut désormais rencontrer dans une danse rituelle ses prétendants. L’approche est ethnographique et nous fait voir la communauté matrilinéaire des Indiens Wayuu, l’ethnie la plus répandue en Colombie. Alors qu’ils vivaient exclusivement de leur élevage et de tissage, les Wayuu sont aussi ceux qui sont les premiers touchés par le commerce de la marijuana avec l’Amérique du nord.
Pour épouser la belle Zaida, Rapayet doit rassembler les vaches, chèvres et bijoux demandés par la famille de la jeune fille. L’argent qu’il n’a pas, il se le procure en arrangeant sa première vente de drogue pour des hippies venus s’oublier dans la Guarija sans pour autant omettre de distribuer quelques tractes pour dire « non au communisme » . Le couple se marie, la ranchería s’agrandit et, conquit par le trafic de drogue, le clan s’enrichit. Derrière Rapayet et Zaida (interprétés par José Acosta et Natalia Reyes, cette dernière au casting du prochain Terminator : dark fate), les réalisateurs laissent leur place aux autres membres du clan : le vieil oncle Palabrero, conseiller et juge (comparé au Consigliere de la mafia), le beau-frère Leonidas insolent et insoumis et surtout, au-dessus de tous, la puissante mère Ursula (Carmiña Martínez) qui les incitera au nom de l’honneur à faire la guerre contre le clan concurrent. Chacun aura son rôle à tenir dans un récit qui en effet, par sa division en cinq actes et par les chants qui l’accompagnent, ressemble à la transposition d’une tragédie antique dans le milieu des cartels colombiens. Les paysages désertiques et somptueux, le grand palais blanc du clan Rapayet, les augures apparus çà et là à ceux qui y sont attentifs, ainsi que tout le sang versé des familles rapprochent un peu plus le récit moderne des tragédies grecques.
Le film évolue donc dans une sorte de mélange savant et parfaitement maîtrisé : à la fois incursion anthropologique et réappropriation d’un genre, à la fois mythe antique et chronique documentée d’une époque. Le film offre une autre représentation d’un drame du narcotrafic et l’enserre dans la culture, les croyances et la mystique indigènes. Si l’on se laisse emporter sans peine par la fiction, il ne faut pourtant pas non plus oublier que le film porte en lui une part de la mémoire colombienne. Comme les caisses d’armes sont ressorties des vieux caveaux familiaux, cette histoire-là du pays, devenue taboue, mal connue des jeunes générations, est exhumée et, de la sorte, cela donne aussi toute sa valeur au film.
* Citations de Ciro Guerra dans le dossier de presse du film édité par Diaphana.
Il y a de la tragédie grecque c’est vrai dans ce film, un regard entre réalité et mythe, entre rêve éveillé et songe prémonitoires. L’oiseau de malheur ici se fume, se dégomme à larme automatique. Brutal et esthétique, je suis bien d’accord, c’est une belle découverte.
J’ai bien aimé ce film qui se déroule entre réalité et imaginaire; j’irai peut être pas jusqu’à dire qu’il y a du Gàrcia Màrquez où si peu .(c’est un avis personnel et je n’ai aucune légitimité en la matière)
On voit bien que les traditions ancestrales de ces indiens sont pas mal malmenées par la vente de la drogue et la corruption par l’argent.
De nos jours encore en Colombie et malgré le referendum sur le processus de paix les indiens sont corrompus par le trafic de la drogue.