Liu Jie, 2007 (Chine)
Nous avons passé des vacances dans les campagnes de Yamagata au Japon dans Omohide poro poro d’Isao Takahata (1991), puis dans la périphérie rurale de Séoul en Corée du Sud dans Jiburo de Lee Jung-hyang (2002), nous voilà à présent, toujours loin des villes, en train de grimper les versants des montagnes de la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine avec la greffière Yang (Yang Yaning), le jeune juge Ah-Luo (Yulai Lu), le juge Feng (Baotian Li) et leur petit cheval qui porte sur son flanc l’emblème de l’Etat qu’ils représentent. Le tribunal ambulant s’en va instruire les affaires qui troublent le quotidien des petits villages isolés de montagne, en des lieux où l’accès n’est plus permis qu’à pied (un plan nous montre une première ascension en 4×4 brinquebalant sur une route de terre tout en trous et en bosses). Vite installé, le tribunal s’accommode d’un banc et d’une table et les procès concernent aussi bien un pot que deux belles-sœurs se disputent, qu’une tombe ravagée par un cochon ou encore des chèvres tuées parce qu’elles ne faisaient pas la différence entre deux propriétés. Le vieux juge fait preuve de souplesse dans la manière de traiter ces conflits, ce qui n’est en rien le cas d’Ah-Luo. Ce dernier fraîchement sorti de l’école se moque des coutumes locales et n’a d’ambition que de faire appliquer strictement la loi. C’est tout le propos de Liu Jie : il pointe du doigt les limites de l’Etat chinois en matière de justice et d’administration et au-delà en matière de contrôle des territoires. Comment faire appliquer la loi dans ces contrées reculées qui fonctionnent avec leurs propres règles et des traditions anciennes parfois empreintes de religiosité ? Dans le canton de Ninglang que visite Feng, une minorité ethnique locale, les Moso, vit encore sous un régime ancestral de matriarcat. Le juge a bien compris qu’appliquer une justice « d’administration urbaine », celle d’Ah-Luo, ne convient pas à de telles communautés. C’est pourquoi il œuvre par compromis (les juges sont également assistant social, voire policier quand il s’agit d’intervenir plus « physiquement » ou d’enquêter) et les procès résolus avec astuces contentent ainsi tant le tribunal que les locaux. Le respect de Feng pour ces populations paysannes est réciproque et lorsqu’il a à son tour besoin d’aide, le village entier se porte volontaire. Le petit tribunal ambulant s’est fait voler l’emblème de l’Etat ce qui rend Feng fou de rage. Dans un élan de solidarité, les villageois se regroupent pour récupérer dans de vastes prairies marécageuses le symbole de l’Etat, les portes des maisons sont démontées et un pont de fortune est créé pour traverser le marécage jusqu’à l’objet perdu. Parfois attendrissant (surtout les personnages de Yang et de Feng), souvent amusant, Le dernier voyage du juge Feng (titre mélodramatique dépourvu de l’humour du titre original Courthouse on the Horseback) porte un regard inédit sur les marges rurales chinoises pour lesquelles l’Etat paraît bien abstrait, aussi éloigné d’elles que la modernité.
L’entretien réalisé avec le réalisateur sur le site du distributeur du film, Pierre grise, apporte plusieurs informations supplémentaires sur la région, ses motivations ou les conditions de tournage.