L’incroyable Hulk de Louis Leterrier est un nanar. Il a pourtant la bonne idée de reprendre la piste sud-américaine initiée par Ang Lee dans Hulk. Passée l’introduction, le reboot commence donc de façon surprenante par le travelling d’un paysage qu’il est possible d’appréhender d’un seul regard : l’énorme favela de Rocinha, se couchant dans un creux des morros de Rio. Le plan de Leterrier met en évidence l’amas des habitations de fortune et leurs toits plats couverts de bassines de récupération d’eau de pluie. Nous ne tiendrons pas compte de la position du protagoniste sur ces images, le Nord-Américain dominant autour duquel la caméra tourne (symbolique fortuite dans une recherche toute esthétique).
(1) Favela de Rocinha entre les quartiers aisés de São Conrado et Gávea (en haut à gauche du plan, les tours du quartier de Leblon et la forêt séparant les quartiers bourgeois et touristiques des quartiers pauvres*)
(2) Edward Norton cerclé de vert au sommet de Rocinha
(3) Rocinha la nuit
Pourquoi Rocinha a-t-elle été choisie par les scénaristes ? Bruce Banner s’y cache et s’y soigne (il cherche un remède contre la transformation en Hulk). Rocinha est une marge et considérée (par Hollywood ? Les Nord-Américains ? Les populations des Nord ?) comme un quartier oublié ; d’où la possibilité de s’y cacher. Comme beaucoup d’autres (Vila Parque da Cidade plus au nord, Vidigal sur un autre versant de colline, etc.), la favela est en périphérie de Rio. Elle est même dissimulée à l’abri des regards bourgeois derrière un rideau de forêt (photo 1). Pourtant, ces quartiers échangent avec le reste de Rio et ne la nourrissent pas seulement de leur criminalité.
A proximité du bidonville, Banner travaille aussi dans une usine d’embouteillage pour boissons destinées au marché nord-américain. Il s’agit du prétexte qui assure à l’armée américaine de débusquer Banner (une bouteille contaminée par le sang du super-héros et achetée par un consommateur aux États-Unis permet de remonter la route économique jusqu’à Rocinha).
Dans le film, Rocinha est à la fois une marge peuplée de miséreux et réduite à une manufacture pour consommateurs nord-américains. Elle apparaîtrait aussi comme un nouvel espace touristique que les spectateurs des salles de cinéma peuvent visiter de leur fauteuil. L’idée d’un tourisme des quartiers pauvres n’est pas nouvelle. Au Brésil, l’agence Favela Tour a pour slogan « Bénéfique pour la communauté, instructif et surprenant. Voyeurisme ? En aucun cas ».
* Sur ces différences spatiales de développement et plus généralement sur le pays, Hervé Théry, Le Brésil, Paris, Armand Colin, 2005.