Wojciech Has, 1973 (Pologne)
La clepsydre est un capharnaüm énigmatique dans lequel un certain Józef (Jan Nowicki) retrouve son père Jakob (Tadeusz Kondrat) empêché de mourir dans une clinique fantastique figée quelque part dans quelque village reculé. Les seuls personnages du lieu, un médecin et une infirmière lubriques et peu disponibles, n’apportent que des réponses sibyllines aux attentes de Józef. Dans le train, dès le début, le contrôleur aveugle l’avait averti : au cours de son voyage, c’est à lui de trouver son propre chemin.
Wojciech Has suit alors Józef de la chambre du sanatorium au grenier, du hall à la foire aux tissus d’une synagogue, d’intérieurs en extérieurs et inversement au point de donner l’impression au spectateur d’une déambulation sans fin. Toujours les lieux s’enchaînent et Józef s’y déplace en glissant entre deux meubles, passant par une fenêtre ou se faufilant sous un lit. Notons là le beau travail des décorateurs Jerzy Skarzynski (qui a plusieurs fois collaboré avec Has), Andrzej Plocki et Maciej Maria Putowski. Le directeur de la photo, Witold Sobocinski, a aussi sa part dans la mise en valeur du fourbi exposé. Entre obscurité et touches de couleurs (comme on en trouve dans le cinéma fantastique anglais ou italien de l’époque), les images créent un espace onirique singulier.
Les lieux sont ouverts et les décors s’emmêlent comme la mémoire humaine. Il semble d’ailleurs que le réalisateur, comme l’auteur Bruno Schulz qu’il adapte, cherche à nous en donner une représentation.
« Les faits sont rangés dans le temps, enfilés sur sa continuité comme des perles.
– D’accord, d’accord, mais… Mais que faire des faits qui n’ont pas leur place dans le temps, des faits accomplis trop tard quand le temps a déjà été réparti ? Le temps serait-il trop étroit pour tout contenir?
– Le temps a ses voies secondaires, un peu douteuses, bien sûr, mais pour des faits sans théâtre, ne soyons pas trop exigeants. Qui sait, en ce moment déjà l’aiguillage est peut-être passé et nous nous trouvons sur une voie sans issue. »
Le début est assez fascinant, en particulier quand Józef depuis la chambre de la clinique s’observe arrivant un moment plus tôt. Le garçon qu’il croise à différentes occasions, Rodolphe, pourrait être Józef enfant. On visite sa maison d’enfance, sa mère s’inquiétant pour lui ou lui commandant de faire une course pour son père… Le paternel usé loge également au grenier comme il ne quitte pas l’esprit de Józef. Ailleurs, une grande salle rassemble des silhouettes immobiles comme des mannequins, habillées de costumes et d’uniformes divers, des spectres qui auraient pu émaner de l’invention de Morel.
À travers l’errance de Józef, qui ressemble par sa tenue à un bonhomme à chapeau melon de Magritte, Wojciech Has insiste sur la culture juive (hassidique dans les nouvelles de Schulz qui l’inspirent) et sur la décrépitude des choses. Rien n’échappe au temps malgré la cure du père. Le cimetière est un paysage maintes fois traversé. Le film comporte des dialogues et des enchaînements de situations abscons. Il n’est pas sans longueur et l’on s’y perd comme dans un labyrinthe. Pourtant, avec ses pistes biographiques et historiques, la quête initiatique malheureuse de Józef a son charme, à la façon d’un mystère que l’on peine à percer.