Jacques Rivette, 1993 (France)
Au-delà du film d’histoire plutôt raté, Jeanne la Pucelle est le portrait d’une femme (Sandrine Bonnaire) et de ses convictions qui après une brève période de gloire (Les batailles) se heurte à l’injustice de ses accusateurs. Les prisons reprend la chronologie du récit et s’ouvre sur le conseil de Jeanne à son souverain de se rendre à Reims pour le sacre.
Le deuxième volet de la vie de Jeanne d’Arc s’étend donc pour commencer sur la gloire de la cérémonie qui transforme le « noble dauphin » en roi (le 17 juillet 1429). La chute de la soldate de Dieu n’en sera que plus douloureuse. Vite ses maladresses se multiplient. Son assurance s’efface. Quel comportement adopter puisque Orléans et Reims, les seuls objectifs envisagés, ont été atteints ? Où et qui combattre maintenant ?
Rivette, lui, ajoute à ses erreurs. L’avant-dernière bataille livrée devant les murs de Paris ne convainc guère (l’exposition des soldats aux flèches ennemies, les capitaines qui discutent stratégie à découvert et sous le nez de l’adversaire…), l’attaque de fort Margny près de Compiègne, pas davantage. Au manque d’effectifs (quelle armée ?) et à la vraisemblance manquée des assauts, se greffent d’autres signes perturbant cette modeste représentation médiévale. Ainsi, une héraldique de kermesse. Raoul de Gaucourt (Didier Sauvegrain) porte un écu d’hermine plain : le symbole breton n’est-il pas étrange pour un seigneur de la proximité parisienne ?*
Le long métrage n’oppose pas une fervente religieuse à une Église méfiante et rigide. En outre, la dénonciation du fanatisme apparaît de manière moins évidente que chez André Delvaux dans L’œuvre au noir (1987). Les ennemis de la Pucelle sont d’abord des hommes : un évêque méprisant, le comte bourguignon soucieux d’une rentrée d’argent et les Anglais qu’elle a défaits dans ses batailles. Petit à petit, ils viennent tous à bout d’elle. Les explications sur le silence de Charles VII ne viendront pas. La « putain des Armagnacs », relapse, apostate et schismatique brûle vive le 30 mai 1431. Sandrine Bonnaire, on l’a dit, survit à ses flammes et en sort grandie.
* Sur la vraisemblance et une approche bibliographique, voir la notice laissée sur la première partie, Les batailles.
A la critique ci-dessus, on peut apporter une correction d’importance, qui est la suivante : le film de Jacques Rivette est, de toutes les biographies filmées de Jeanne la Pucelle, celle qui colle le plus aux textes qui nous sont parvenus : dépositions de témoins au procès dit de réhabilitation de 1455-1456, texte du procès de condamnation, même si ces textes sont à lire avec précaution ; l’effort de Rivette est louable, et cela fait apparaître une femme de caractère, qui convainc avec son caractère, et que l’on suit tant qu’elle peut servir, mais qu’on lâche dès qu’il s’agit pour l’entourage de Charles VII de faire trêve puis paix avec les Bourguignons, ce que Jeanne ne peut accepter en l’état tant que les partisans du roi n’ont pas acquis suffisamment d’avantages sur le terrain face à la coalition anglo-bourguignonne.
C’est ce dont je parle dans le commentaire sur Les batailles. Et ce qui me gêne : la discordance entre une préoccupation historique certaine (une biographie filmée qui veut coller aux textes du XVe siècle et aux relectures historiques qui en ont été faites) et un ratage formel (où Rivette semble hésiter entre lyrisme et ascétisme).
(Sans encore avoir la possibilité de comparer avec la version de Flemming en 1948, Joan of Arc, ou celle de Bresson en 1962, Le procès de Jeanne d’Arc) Je préfère La passion quasi surréaliste de Dreyer.
Dreyer est cité communément comme une référence pour Jeanne, mais s’il est une référence, à mes yeux, c’est pour son Ordet. En réalité, si C.T. Dreyer fait l’unanimité (ou presque) pour Jeanne, c’est parce qu’il ne dit rien (film de l’époque du muet), et cela, du coup ne gêne pas les historiens,qui ne trouvent rien à redire.
Mais Falconeti fait du théâtre avec ses chaudes larmes et tous les personnages avec leurs regards sévères, leurs mimiques et autres expressions.
Ingrid Bergman est mauvaise dans l’emploi, et Jean Seberg complètement à contre-emploi dans l’adaptation cinématographique de la pièce de George Bernard Shaw.Ne parlons pas de l’hystérique M. Jovovitch dans le film de Besson.
Entre nous, à l’avenir, il nous faudrait physiquement une Jeanne plus « forte », plus costaude que les jolies figures qui nous sont présentées ou qu’une Falconeti larmoyante et effrayée. Le réalisme fait défaut dans tous les films, à ce compte-là.
Vous êtes quelque peu sévère avec les historiens, le verbe n’est pas leur seule clef d’analyse. Certes, Tulard cinéphile (dans le Dictionnaire amoureux) n’apporte pas d’arguments très originaux pour dire son amour de Falconetti. Et quoi qu’il en soit, par son tout premier plan (qui, en bibliothèque, ouvre les manuscrits des actes du procès), Dreyer ne peut que toucher l’historien en plein cœur.
Les films historiques depuis Ryan de Spielberg (1998) sautent à pieds joints dans la boue. Je suis sûr que quelque producteur a déjà le scénario d’une Jeanne plus « forte » sur le bureau, nettoyée de sa légende, comme l’a été Robin des bois (Scott, 2010). Quant à savoir si Hollywood évitera le joli minois en tête d’affiche… Natalie Portman peut-être ?
Il me semble quand même, pour revenir à Jeanne, que sa personnalité (et non son aspect physique) apparaît en transparence dans le jeu de Sandrine Bonnaire, en ceci que cette actrice montre dans l’héroïne qu’elle incarne un caractère affirmé comme devait l’avoir la Pucelle. Les réponses données par cette dernière à ses juges, du tac au tac, laissent voir cela, et c’est Sandrine Bonnaire qui a le mieux rendu cet effet au cinéma. On est là dans l’ordre du vraisemblable, et, en comparaison, Ingrid Bergman et Jean Seberg paraissent un peu mièvres.
Les films sur Jeanne quand ils ne sont pas spectaculaires ont la simplicité souhaitable mais un peu convenue que le très beau long métrage de Bresson illustre bien. Sinon c’est le grand déploiement avec Jeanne incarnée par des Genevois, Bergman et Jovovitch. Entre les deux, si Rivette flotte un peu, il a au moins le mérite d’essayer de combiner les genres, même si le résultat n’est pas satisfaisant. Il est en tout cas sur la bonne voie et on attend quelqu’un avec de meilleurs moyens qui reprendra le filon.
Projeté à Cannes le 13 mai 2011 à la Quinzaine des Réalisateurs, Jeanne Captive de Philippe Ramos. Jeanne est interprétée par Clémence Poésy (127 heures de Boyle, 2011, Le grand Meaulnes de Verhaeghe, 2006…). Ni batailles, ni procès, a priori le récit se concentre sur les doutes de la jeune soldate.
Le reste de la distribution s’appuie sur quelques figures : Mathieu Amalric en prédicateur hirsute, Jean-François Stévenin en religieux.
Les premières secondes vues laissent croire à une forte influence de Rivette, la maladresse des reconstitutions guerrières écartée. A voir…
Pour savoir à quoi ressemblaient les armes de Raoul de Gaucourt, qui était le gouverneur-bailli d’Orléans pour le compte du Duc Charles retenu prisonnier à Londres depuis Azincourt (25 octobre 1415), on peut se reporter à l’ouvrage du colonel de Liocourt : La mission de Jeanne d’Arc (paru en 2 volumes, en 1974 et 1981, et publié par les Nouvelles Éditions Latines). Elles étaient assez ressemblantes à ce que l’on voit dans le film de Rivette.
Le film de Rivette braque le projecteur sur quatre temps de la « Passion » de Jeanne :
– la négociation pour la livraison de la captive aux Anglais ;
– une seule séquence du procès centrée sur l’abjuration faite dans l’enclos du cimetière de l’église Saint-Ouen à Rouen (étonnant qu’aucun réalisateur ne montre qu’elle signa, de guerre lasse, et d’une simple croix plus un cercle, deux cédules, l’une très courte dont on lui avait lu le contenu très peu compromettant, et une autre bien plus longue dont on ne lui avait rien dit et que le secrétaire de Bedford, régent pour le compte d’Henry VI de Lancastre encore enfant, lui fit signer de force en lui prenant la main, scène qui serait pourtant à exploiter dans un film) ;
– la reprise de l’habit d’homme (pour se protéger de la violence sexuelle masculine), ce qui avec l’affirmation que ses voix étaient bien de Dieu après qu’elle les eût « abjurées » lui valut d’être déclarée relapse, puis livrée au bras séculier ;
– puis enfin, le moment où elle fut « arse » (brûlée vive) sur la place du Vieux Marché. Et Rivette de montrer que le juge de Jeanne,Cauchon, savait bien qu’il avait fait condamner une chrétienne dévote puisque malgré le fait qu’on la déclarait hérétique, schismatique, etc., il avait consenti à ce que Jeanne reçût pour ses derniers instants, avant l’envoi vers le bûcher, les sacrements de réconciliation et de communion, ce pour quoi Jeanne aurait tout donné.
Le film de Rivette est déjà plus intéressant, sous ce rapport, que celui de Dreyer, mais il est lui aussi bien incomplet. Bresson lui-même, dans sa présentation très épurée, n’a pas rendu tout ce qui mériterait d’être dit et montré parce que chargé de signification.
Rappelons que le procès de Jeanne ne s’est pas limité aux interrogatoires qui ont certes été éprouvants mais qui n’ont duré que quelques semaines en deux grandes séquences. Il y eut d’abord une instruction, une enquête à Domremy et Vaucouleurs (cette dernière localité étant passée plus ou moins sous contôle d’Antoine de Vergy, capitaine bourguignon), puis on interrogea Jeanne et enfin l’on soumit le tout à l’Université de Paris, qui prit son temps naturellement pour faire le tour de la question avant de rendre son avis, et c’est seulement après que l’on organisa la machiavélique mise en scène du cimetière Saint-Ouen, pour laisser à Jeanne le fol espoir de sauver sa vie en se réconciliant avec l’Eglise (mais en refusant que l’affaire fût soumise, en dernier ressort, au Pape, comme elle n’avait cessé de le réclamer tout au long du procès).
Rivette aurait dû faire trois volets dans son film, et distinguer son temps de captivité quand elle était aux mains des Bourguignons, car elle fut alors relativement mieux traitée, et le temps de son procès et de son supplice, car cette dernière phase aurait mérité que Rivette, qui a bien saisi les enjeux de l’affaire, s’arrêtât plus longuement sur ce qui se passa de décembre 1430 (date de l’arrivée à Rouen de Jeanne, enfermée dans la tour de Devers les Champs au château du Bouvreuil) au 30 mai 1431 (date de sa mort).
Historiquement et littérairement parlant, le film de Rivette est le mieux documenté, mais il lui manque quelque chose qui aurait pu lui donner une sorte de perfection.
Fut-ce le manque de moyens au service d’un projet trop ambitieux – comme cela a été souligné ici ? Oui, en grande partie.
La filmographie johannique est déjà très impressionnante, mais, tout comme la personne de Jeanne elle-même, elle a souvent été construite à des fins très précises, mais jamais de manière totalement impartiale. Le « ni pour, ni contre » viendra peut-être un jour. On a eu droit à de grandes fresques colorées, ou à l’épopée en images (de Genevois à Ingrid Bergman), au portrait de sainte inspirée, pure et vierge, à celui de victime immolée sur l’autel des intérêts politico-religieux, à la contestation du bien-fondé de l’engagement d’une forcenée convaincue de faire le bien en faisant brandir les épées (Jovovitch), mais quand viendra donc celui de la personne considérée sans aucun a priori ?
François Sarindar
Je lis que Marion Cotillard interprète Jeanne d’arc sur la scène de l’Auditori à Barcelone alors qu’est donné l’oratorio de Honegger Jeanne au bûcher, dont le livret avait été écrit par Paul Claudel.
Et Allocine de compléter (16/11/2012) : » A noter que Marion Cotillard avait déjà tenu le rôle de la Pucelle en 2005, avec l’Orchestre Symphonique D’Orléans -tout comme sa mère Niseema Theillaud, une dizaine d’années plus tôt… »
Il n’est donc pas improbable qu’elle puisse (s’il en était question) reprendre le rôle dans une nouvelle version conduite par des studios français ou américains.
Ce serait un beau cadeau si cela voyait le jour et si les moyens étaient mis pour faire une superproduction réaliste et équilibrée : et puis c’est un avantage quand on a déjà pénétré le rôle.
Mais question : l’âge de l’actrice, pour faire 17 ans comme Jeanne à Orléans et Patay ? Encore qu’on ne soit pas bien sûr si Jeanne est bien née un 6 janvier 1412 ! Rien ne le prouve. Et ce qu’elle a déclaré devant ses juges n’est pas certitude, car il y a peut-être d’autres possibilités et c’est elle-même qui a fait lever les interrogations à ce sujet. On peut laisser en tout cas de côté les élucubrations des Bâtardisants qui la font naître des amours adultères du duc Louis d’Orleans et de la reine d’Isabeau de Bavière en novembre 1407 sous un prénom de garçon mort-né. Totalement absurde.
Peu importe tout cela, si le personnage de Jeanne est bien campé, avec force et réalisme, si ce n’est pas une illuminée ou une pasionaria qui nous est montrée mais simplement une fille qui croit en ce qu’elle fait, alors quel bonheur ! Et si en plus on fait du « vrai » avec beaucoup de monde pour les scènes de bataille, et si on nous montre enfin la prise de Jargeau ou la bataille de Patay plutôt que l’éternelle et certes importante levée du siège d’Orléans. On peut rêver, même debout !
S’il y en a un qui ose, Rivette ne sera plus indétrônable.
Rivette a bien vu qu’il fallait placer la scène du couronnement de Charles VII à Reims en introduction du second volet de Jeanne la Pucelle : c’est bien vu, car c’est pour Jeanne une apothéose, mais c’est également, par la volonté du roi, le terme de la mission que Jeanne pouvait vouloir plus large mais qu’on l’empêcha de compléter. Le procès de réhabilitation devait d’ailleurs faire du sacre le terme de l’action utile conduite par la Pucelle et jeter un voile sur le reste, car on fit échouer ce qu’elle se promettait encore d’accomplir. Et l’échec fut suivi par la capture.
Il était donc logique de commencer cette seconde partie du film intitulée Les Prisons par l’apothéose johannique que fut le sacre de Charles à Reims en juillet 1429. Le choix de Jacques Rivette est bon, car ce n’est qu’un apparent parodoxe de vouloir réunir en un seul ensemble l’accomplissement majeur de ce que Jeanne était venue annoncer qu’elle ferait et la fin terrible infligée à la jeune prophétesse. Toujours, la roche tarpéienne est proche du Capitole.
La scène du sacre de Charles VII telle que Rivette la traite mérite d’être comparée à d’autres représentations cinématographiques à la fois sur le plan scénique et quant aux personnages.
C’est une bonne chose que Jacques Rivette insiste sur l’événement, organisé au pied levé les 16 et 17 juillet 1429. On venait de Troyes, la ville du traité Franco-Anglo-Bourguignon qui avait été signé sur le dos du Dauphin Charles dans l’espoir de l’écarter du trône, et le voilà qui arrive en force, grâce à Jeanne, dans la ville du sacre (et aussi, ajoutons-le, par l’art de parlementer de certains personnages qui accompagnaient Charles).
Mais, à présent que l’on s’y trouve, il ne faut pas oublier que l’on est dans un territoire qui était encore, la veille, contrôlé par les Bourguignons, que l’on disposait de peu de temps pour organiser la cérémonie et que l’on n’avait pas sous la main plusieurs des instruments du sacre (le sceptre, la verge ou main de justice qui se trouvaient à Saint-Denis, sous la garde des Anglo-Bourguignons) et qu’il manquait plusieurs pairs du royaume (il fallut trouver d’autres acteurs); mais l’essentiel était réuni : la Sainte Ampoule, qui venait de la basilique Saint-Remi, que l’abbé de cette dernière apporta jusqu’à la cathédrale Notre-Dame de Reims, et surtout l’archevêque de l’archidiocèse, Regnault de Chartres, par ailleurs Chancelier de France.
Jacques Rivette a raison de montrer que tout s’est joué dans le chœur, mais première erreur commune à tous les films, l’essentiel se déroula devant le maître-autel situé à la croisée des transepts et non dans le fond du chœur comme on a pris l’habitude de le faire au cinéma.
Il n’y avait pas de personnages qui voyaient la scène depuis des stalles comme il est montré chez Rivette, et pas davantage de foule réunie dans la nef. En admettant qu’on aurait laissé entrer dans les lieux une si nombreuse assistance, elle n’aurait rien pu voir, car un immense jubé surmonté d’un calvaire bouchait la vue et barrait alors l’entrée du choeur. Mais, on le sait bien, le rituel du sacre interdisait cette présence « profane », et ce n’est qu’à l’issue de la cérémonie que l’on ouvrit les portes et que l’on laissa pénétrer la foule des bourgeois et du peuple.
Donc, les films avec Bergman et Jovovitch ne sont pas du tout réalistes, sur ce plan-là et répondent plutôt à une image véhiculée par l’imaginaire du XIXème siècle.
Tous les films sont à mettre sur le même plan si l’on en vient à parler de Jeanne : ils commettent tous l’erreur de montrer la Pucelle en armure, dans le choeur, son étendard à la main. C’était déjà un insigne honneur de tolérer sa présence en ce lieu (Regnault de Chartres autorisa sans doute qu’elle se plaçât du côté du transept, mais pas en armure, sûrement en civil et en vêtements féminins ; et sans doute fut-ce son page ou son intendant qui porta son étendard, car c’est une certitude cela : « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur »).
Le meilleur sur ce qui s’est passé dans la cathédrale nous a, au total, été donné par Rivette qui détaille assez bien le déroulement du sacre (avec quelques réserves, mais il a au moins eu le mérite de montrer.
Tous les autres films font beaucoup dans le spectacle, mais les réalisateurs auraient mieux fait de s’abstenir ou de mieux s’informer avant de suggérer, car tout ce qu’ils mettent sous nos yeux n’est fait que pour en mettre plein la vue sans souci de réalisme et sans informer vraiment comme il faudrait le spectateur. Je comprends que l’on ait fait l’erreur dans les années 1950-1960, mais Besson aurait dû rectifier.
Donc, Rivette, hormis quelques erreurs, a encore la palme.
François Sarindar
Benjamin, vous avez vu juste au tout début de votre notice : Rivette nous montre qu’avec la diminution des moyens matériels et humains donnés à Jeanne pour se battre contre les Anglo-Bourguignons qui tenaient Paris alors que Jeanne tentait de franchir la ligne des remparts de la capitale en se lançant à l’assaut de la porte Saint-Honoré et que Charles VII renâclait à lui venir en aide parce qu’il cherchait des points d’accord et de compromis avec le duc de Bourgogne, il y eut bien une baisse de niveau dans l’ardeur de Jeanne, qu’elle reçut là un coup de frein, qu’on veilla ensuite à la sous-employer sur des théâtres d’opérations secondaires et que lorsqu’elle voulut se porter au secours de Compiègne elle n’eut pas avec elle assez d’hommes pour vaincre les Bourguignons qui cependant allaient en vain essayer de prendre la ville (et nous avons là un exemple de résistance sans aide extérieure forte).
Y avait-il un ressort cassé chez Jeanne ? Les répliques de la Pucelle à ses juges lors des interrogatoires qu’elle subit à Rouen pourraient nous donner à croire qu’il n’en fut rien dans la réalité, mais Benjamin a bien raison d’insister sur le changement d’atmosphère et la baisse de régime très évidente entre les deux volets du portrait de Jeanne tracé par Rivette.
François Sarindar
Ce qu’aucun film ne montre, pas plus celui de Rivette, que les autres, c’est que la perte d’audience de Jeanne s’est jouée en trois étapes :
– d’abord, et le premier volet, Les batailles l’a montré, elle a plaidé pour Richemont, et l’aide de ce dernier a compté pour remporter la victoire à Patay, mais c’est ensuite que la tentative de la Pucelle pour aider le connétable à retrouver les faveurs de Charles VII s’est heurtée à l’hostilité du principal conseiller du roi, La Trémoïlle, ennemi juré de Richemont, et cela a usé en partie le crédit de Jeanne auprès du roi, qui a refusé la présence du Breton à Reims, dût-il pour cela ne pas se faire couronner ;
– à Auxerre, et cela ni le premier volet ni le second ne le montre, c’est La Trémoïlle qui a imposé ses vues, au motif qu’il avait été fait sur le papier gouverneur de cette ville dont Jeanne aurait aimé ouvrir les portes pour que Charles VII y fît une entrée solennelle, mais que le Grand Chambellan s’arrangea pour laisser closes, en s’entendant pour cela avec les autorités civiles et religieuses d’Auxerre, le roi pouvant finalement contourner l’obstacle et poursuivre sa route vers Reims, via Troyes (la ville du traité qui lui contestait le droit de régner un jour) ; les tractations de La Trémoïlle avec les habitants d’Auxerre montrent en tout cas que celui qui menait la partie, dorénavant, ce n’était plus Jeanne mais bien le Grand Chambellan lui-même, qui négociait déjà avec les Bourguignons ;
– enfin, Jeanne rencontra encore la résistance, et même l’opposition de La Trémoïlle lorsqu’elle tenta de prendre Paris.
Le film de Rivette dit plus que les autres longs métrages consacrés à Jeanne, il met bien en scène les personnages, mais il ne met pas assez cela en relief pour que l’on comprenne l’enchaînement des choses jusqu’à la capture de la Pucelle à Compiègne.
On le voit, les films sur Jeanne font trop de « redite » sur les épisodes connus, mais laissent de côté des événements d’importance : la campagne de la Loire, la marche vers Reims, etc., avec tout ce qui se jouait en coulisse. Qui de Jeanne ou de La Trémoïlle avait raison ? Fallait-il conclure des trêves avec les Bourguignons dans l’espoir de les séparer des Anglais ? Devait-on tenter de reprendre Paris immédiatement ou fallait-il attendre ?
Il faudra attendre la disgrâce de La Trémoïlle et le retour de Richemont auprès de Charles VII pour que la situation se débloque et que se réalisent les derniers rêves de Jeanne : la libération de Paris (sans compter celle de la Normandie et plus tard celle de l’Aquitaine) et le recouvrement de la liberté pour Charles d’Orléans. Mais cela, un certain temps après sa mort.
François Sarindar
Si on laisse de côté les confrontations entre Jeanne et La Trémoïlle ou celles qui mirent aux prises la même et Regnault de Chartes, archevêque de Reims et Chancelier de France pour Charles VII, il faut bien convenir que ces personnages, pour influents qu’ils eussent été, n’avaient pas le dernier mot, et qu’ils ne se faisaient en quelque sorte que l’écho de ce que décidait le roi, et en cela le film de Jacques Rivette adopte le ton juste : celui des tentatives, pas toujours heureuses, faites par la Pucelle pour convaincre Charles de faire certaines choses ; il se laisse guider par elle, tant qu’il y a menace pour lui du côté anglo-bourguignon, mais, dès l’instant où il est couronné, il prend la dimension de son rôle, perd de ses doutes sur sa légitimité, prend de l’assurance, et le calme refus qu’il oppose à la Pucelle ou les actes fermes qu’il pose pour arrêter les frais (comme devant Paris assiégé) ne sont pas le signe, chez lui, d’une hésitation, mais plutôt celui d’une autre manière de faire de la politique, par la diplomatie plutôt que par les armes. Il y a, vers la fin, une vraie confrontation entre Jeanne et Charles avant la capture de Jeanne à Margny, les autres acteurs n’étant plus là que pour la figuration.
Rivette a bien su le mettre en évidence.
François Sarindar
Une erreur factuelle volontaire de la part de Rivette : concentrer plusieurs faits, épisodes et prises de position sur la séance du conseil qui suit le récit du départ des Anglais de devant Orléans au lendemain de la prise des Tourelles ; le Dauphin y déclare que la Pucelle a été anoblie, elle et toute sa famille, en ligne masculine et en ligne féminine, en récompense de son action, alors que l’on en est encore à vouloir chasser les Anglais des dernières places qu’ils occupent à proximité de la Loire, comme Jargeau et Beaugency, et que le sacre n’a pas eu lieu ; or, les historiens situent l’anoblissement de Jeanne en décembre 1429, après Patay, après le couronnement à Reims et après les échecs subis par Jeanne devant Paris puis devant La Charité-sur-Loire, et ce désir de Rivette de tout évoquer dans le même conseil royal permet au réalisateur de ne pas revenir plusieurs fois sur ces faits épars, et de renforcer l’intensité de la scène pour bien mettre en évidence les intentions (et les obsessions) de chacun des conseillers présents : le Bâtard d’Orléans qui pense que la priorité est d’éloigner les Anglais de la Loire, Jean d’Alençon qui voudrait que l’on s’occupât maintenant de la Normandie pour la reprendre aux Anglais, Regnault de Chartres et La Tremoille soucieux de se rapprocher des Bourguignons avant de reprendre la lutte avec les Anglais (lisent-ils dans les pensées du Dauphin ?), Jeanne qui ne pense déjà qu’à conduire Charles jusqu’à Reims et Gaucourt qui semble d’accord et avec les « diplomates » mais aussi avec Jeanne, ce qui semble bien être le reflet de la double préoccupation du Dauphin : rendre ses droits à la couronne incontestables par le fait du sacre et tout faire en même temps pour amener le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, à discuter avec lui de la paix.
La question de l’anoblissement de Jeanne ne sert donc que de prétexte chez Rivette pour mettre en relief tout ce qui se joue au sein de l’entourage de Charles VII : les intentions des uns et des autres, qui vont les faire tous converger jusqu’au sacre puis les opposer celui-ci passé. C’est très bien vu.
Admirons la sobriété de Rivette sur l’épisode de la capture de Jeanne sur la « Prée de Margny », au pied de la chaussée précédant le fossé du « boulevard militaire » du bout du pont de Compiègne, le 23 mai 1430, entre 17 et 18 heures.
La Pucelle y portait sa blanche armure recouverte d’une huque couleur bordeaux (donc pas loin de la couleur or vermeil évoquée dans les textes).
La sortie de Jeanne avait pour objet de montrer que l’on ne craignait pas l’armée anglo-bourguignonne qui commençait depuis le 20 mai à s’installer sur la rive droite de l’Oise, face au pont de Compiègne. La surprise fut totale et Jeanne réussit par deux fois à repousser une partie des forces ennemies jusqu’à leur campement. Une troisième fois, elle se lança à l’attaque, mais elle ne parvint cette fois qu’à mi-chemin, tandis que les Anglais, installés à Venette, et alertés par le tumulte, mais aussi par le bruit des cloches de Compiègne qui sonnaient à toute volée, longèrent la rivière et coupèrent la retraite du groupe dans lequel se trouvait Jeanne. Ce fut alors le sauve-qui-peut, mais Jeanne, n’écoutant que son courage, voulut se mettre en couverture avec sa garde rapprochée, pour permettre au plus grand nombre de rentrer dans Compiègne. Elle-même se dirigeait vers le portail de la palissade du boulevard, quand le responsable de la protection de la cité, Guillaume de Flavy, ordonna de le fermer. Cela Rivette ne le montre pas, sans doute parce qu’il ne croyait pas à l’hypothèse de la trahison, adoptée par Luc Besson, qui décrit fort mal la scène de son côté (Jeanne d’Arc, 1999).
Rivette a sans doute raison, Flavy n’a pas trahi Jeanne, il a simplement voulu éviter que l’ennemi s’infiltre dans la ville par le boulevard puis par le pont, à la suite des fuyards qui avaient pu échapper à leurs poursuivants. D’ailleurs, Compiègne résistera héroïquement, malgré un siège contraignant de cinq mois, et la place sera dégagée par une armée de secours, intervenue le 25 octobre 1430. L’hypothèse d’un complot ourdi par La Trémoïlle, Regnault de Chartres et Guillaume de Flavy, pour que Jeanne tombât aux mains des Anglais, n’est pas crédible.
François Sarindar
Des anglo-bourguignons voulais-je dire : le siège de Compiègne se déroula, en partie, en présence de Philippe le Bon, qui avait son quartier-général à Coudun, et lorsqu’il partit, il délégua le commandement à Jean de Luxembourg, comte de Ligny. Que venait-il faire à Compiègne ?
En fait, la ville faisait l’objet de négociations entre en Charles VII et le duc de Bourgogne. Elle devait, comme gage de paix entre les Armagnacs et les Bourguignons, être restituée à Philippe le Bon. Sauf que les bourgeois de la ville entendaient demeurer fidèles au roi de France et lui demander sa protection. À l’issue des trêves hivernales, le duc de Bourgogne voyant qu’on ne manifestait aucune intention de lui ouvrir les portes de Compiègne, se décida à passer à l’action et à prendre par la force ce qu’on ne voulait pas lui accorder de bonne grâce. D’où les événements que l’on connaît et qui ont conduit à l’intervention et à la capture de Jeanne. Celle-ci, facilement repérable avec sa bannière, fut rapidement encerclée par un groupe d’hommes d’armes et d’archers obéissant à Jean de Luxembourg, et elle fut tirée par un pan de sa huque et mise à bas de son cheval. Elle ne voulut pas donner sa foi à l’homme qui l’avait prise, mais accepta de le faire devant l’un des féaux de Jean de Luxembourg, Guillaume de Wandonne. Les Anglais de sir Montgomery n’étaient pas loin de Jeanne, et ils auraient pu s’emparer d’elle, mais les Bourguignons furent les plus rapides, et Jeanne gagna dans cette affaire un sursis de quelques mois avant d’être livrée aux Anglais.
François Sarindar
Certes, Regnault de Chartres a bien laissé entendre dans une lettre aux Rémois, que Jeanne fut prise et ainsi punie parce qu’elle « s’était constituée en orgueil » et qu’elle n’avait fait les choses qu’à sa volonté et non en cherchant à faire celle de Dieu (que peut bien vouloir Dieu en matière de guerre ?), mais il ne faut pas tirer argument de cela pour voir la preuve d’une trahison ; c’est plutôt le signe d’une opposition, d’une autre manière de voir les choses et l’indication que le chancelier de France regrettait que Jeanne n’eût jamais su écouter les conseils. Ici, celui de faire la paix avec les Bourguignons avant de repartir à la bataille contre les Anglais, exactement ce que fera la diplomatie de Charles VII après la mort de Jeanne.
Jeanne, elle, ne comprenait pas qu’au nom de cette logique de paix, on fût prêt à abandonner au duc de Bourgogne une ville comme Compiègne, dont la possession par Philippe le Bon aurait permis à ce dernier de rajouter aux territoires déjà contrôlés par lui l’espace intermédiaire entre Paris et les parties septentrionales de la France.
Les films sur Jeanne n’expliquent pas totalement le pourquoi des choses.
C’est à vouloir défendre en 1430 cette zone reprise sur l’ennemi en 1429 que Jeanne voulut s’employer, et elle s’associa pour cela aux Compiégnois qui ne voulaient pas du tout rendre les clés de leur ville au duc de Bourgogne et qui furent bien soutenus pour cela par Guillaume de Flavy. Jeanne s’exposa de trop et trop longtemps lors de la sortie où elle fut prise.
Sa capture n’est donc pas le résultat d’une trahison, même si l’on peut soupçonner chez La Trémoïlle et Regnault de Chartres de l’agacement à la voir agir comme elle le faisait.
François Sarindar
Trois films ont fait dans la sobriété, ce qui ne nuit pas au propos (mais peut peut-être décontenancer un spectateur plutôt préparé au grand spectacle ou en attente de quelque chose de grandiose avec un tel sujet) : Dreyer, Bresson et Rivette ont donc agi avec peu de moyens. Question : devaient-ils renoncer à traiter le sujet parce qu’ils n’étaient pas en capacité de faire quelque chose d’impressionnant et ne disposaient que d’un « effectif » limité ?
Chacun est libre d’apprécier, et l’on peut : soit regretter que Rivette n’ait pas cherché à faire une grande fresque (mais l’imagine-t-on dans cet emploi ?), soit au contraire l’approuver d’avoir voulu garder une certaine indépendance de ton et liberté d’action en se contentant de faire ce qu’il a fait. J’avoue que je me situe à mi-chemin, mais que je reste admiratif de ce qu’il a fait, même si ce portrait en deux parties est un peu « pauvre » en action historique spectaculaire, du fait du petit nombre de figurants.
François Sarindar