Jeanne captive

Philippe Ramos, 2011 (France)

Après une adaptation saluée de Moby Dick, Capitaine Achab (2004), Philippe Ramos reprend la dernière année de la vie de Jeanne d’Arc (du mois de mai 1430 au 30 mai 1431) et propose une série d’images inédites concernant le personnage. Jeanne n’est depuis longtemps plus la fille de laboureur qu’elle était à peine trois ans auparavant mais, désormais vêtue d’un pourpoint gris, une soldate sans monture, ni étendard ni épée.



A ce moment-là, Charles VII ne compte plus. Dès après Compiègne, où Jeanne est capturée, Charles VII devient le roi absent, celui dont on ne parle plus si ce n’est pour rappeler son abandon (« ce roi à qui j’ai tant donné n’a rien offert pour échapper aux Anglais »). Philippe Ramos passe donc sur la relation de la soldate avec son prince et ne retient surtout que le devenir de cette femme (Clémence Poésy) dont la foi surpasse tout le reste, bien que la situation initiale ne nous le laisse pas forcément envisager. Dans une cellule du château de Beaurevoir, prisonnière de Jean de Luxembourg le seigneur bourguignon (Louis-Do de Lencquesaing), Jeanne est en proie au doute. Elle se jette alors d’un rempart en demandant pardon au Ciel et, plutôt qu’à une tentative de fuite, commet là ce qui ressemble assez à une hérésie. Le comportement peut surprendre en effet de la part d’une prophétesse qui annonce être investie d’une mission divine. Néanmoins, l’idée du suicide n’est pas nouvelle dans l’historiographie et l’épisode du « saut de Beaurevoir » a beaucoup fait couler d’encre, en particulier d’ailleurs à la fin du XIXe siècle, lorsque fut engagé le processus de canonisation.

Avant de se laisser tomber, Jeanne désespère donc peut-être, mais la fillette qui la trouve inconsciente au pied de la muraille ne doute pas : pour elle, Jeanne est bien tombée du ciel. Dès ces premières scènes, le film fait de Jeanne une figure sacrée, ce qu’on peut garder à l’esprit jusqu’à la deuxième séquence, quand les rayons d’un soleil blanc perce à travers la toile du chariot dans lequel la jeune fille est amenée de force par les Anglais. Ce qu’on peut aussi garder à l’esprit à chaque rencontre importante qui semble marquer autant d’étapes vers la restitution ou même la composition du personnage sacré. Ainsi, Jeanne à Beaurevoir est confiée aux soins d’un guérisseur qui prend soin d’elle (Thierry Frémont), au point de trahir le seigneur son employeur. Rien de sacré durant ce premier temps, le guérisseur s’occupe de panser les plaies, de soigner le corps et d’apaiser l’être. Ensuite, pour la conduire jusqu’à Rouen où Jeanne sera jugée, elle devient la prisonnière d’un capitaine anglais (Liam Cunningham). Il la respecte et la craint presque. Probablement Jeanne gagne-t-elle une aura nouvelle dans l’impression qu’elle fait justement sur ses geôliers. En prison, un moine (Jean-François Stévenin) vient la voir et la soutient. Il s’occupe de sauver la croyante mais échoue. Le dernier à suivre ce fil de croyance, comme si les quatre hommes n’étaient qu’un, est un mystique (Mathieu Amalric), un ermite sortant de sa retraite le jour du bûcher incapable bien sûr de stopper l’élan des bourreaux.



De cette manière, Philippe Ramos commence son film par une chute et, du médecin au mystique, sans aucun mouvement de caméra ascendant, en privilégiant plutôt dans ses déplacements une série de longs travellings (le voyage de Jeanne et le « fil de croyance » suivi), permet à son personnage de disparaître dans le sacré. Par ailleurs, le réalisateur recourt à de nombreux gros plans. Il sonde longtemps ce sacré dans les détails, la caméra s’attarde sur le grain de peau de Clémence Poésy ou dans ses regards ; le numérique et la précision de la définition assurent une forme nouvelle à ces plans-là, travaillant à la fois le détail et l’épure. Après Dreyer (La Passion Jeanne d’Arc, 1928), la tâche est pourtant extrêmement difficile et cet accès à une quelconque évocation des choses de l’esprit complexe à découvrir. Mais Ramos trouve également l’inspiration ailleurs. Les photos de Francesca Woodman, ses espaces décrépis et ses fantômes, ce que nous dit le dossier de presse, sont entrés en correspondance avec le sujet (« une matière à rêver mon film »). Par son travail, Francesca Woodman, morte à 22 ans (elle se suicide en se défenestrant, le point de départ du film ?), questionnait son propre effacement. C’est alors un peu comme si sa silhouette venait se fondre dans celle de Jeanne. De même, le réalisateur apporte encore de l’intérêt à son récit grâce à d’autres images et d’autres ambiances : la durée des plans de paysage par exemple, quand Jeanne est à la recherche d’un signe, la découverte de la mer qui est peut-être la plus belle scène du film, ces autres plans, mystères et icônes perçant parfois.



Jeanne Captive n’a guère été apprécié à sa sortie (trivial, lourd, anachronique, insipide… selon les critiques qui ont notamment beaucoup reproché l’utilisation du numérique). Nous, il nous plaît pour sa cohérence, son inclination à l’ascèse en parfaite adéquation avec le sujet (on peut penser à L’œuvre au noir d’André Delvaux, 1987), pour les épisodes qu’il décrit inédits au cinéma et au moins pour toute sa singularité qui le démarque de toutes les autres représentations de Jeanne d’Arc au cinéma, ce qui n’est pas peu.

2 commentaires à propos de “Jeanne captive”

  1. Le film de Philippe Ramos prend prétexte de la captivité de Jeanne pour faire œuvre esthétique, mais, une fois encore, vous me pardonnerez, cela laisse à désirer sur le plan historique.

    Pour plusieurs raisons : tout d’abord, l’absence de manifestation des voix et apparitions à Jeanne pendant un certain temps de « sécheresse » ne signifie pas qu’elle se soit enfermée dans le mutisme, comme il est montré dans ce film. Bien au contraire, elle s’est parfaitement entendue avec la tante et l’épouse de son geôlier Jean de Luxembourg, et cela le film de Ramos l’ignore alors que Jacques Rivette ne l’a pas tu dans le sien.

    Ensuite, la tentative d’évasion de Jeanne à Beaurevoir n’est absolument pas apparentable avec une tentative de suicide (encore qu’un temps la Pucelle ait indiqué qu’elle préférerait « mourir plutôt que de tomber entre les mains des Anglais ») ni un acte isolé. Elle avait déjà tenté de fuir lorsqu’elle avait été enfermé à Beaulieu, entre sa capture sur les hauteurs de Margny et son incarcération à Beaurevoir (on notera au passage que le donjon de Vez retenu dans le film de Ramos n’a pas du tout la silhouette de la tour du guet à Beaurevoir). Et puis montrer Provins pour figurer la tour du Bouvreuil où Jeanne fut enfermée à Rouen, c’est un peu gros.

    Enfin, Philippe Ramos aurait pu profiter de l’occasion qui lui était donnée puisque son sujet était la captivité de Jeanne pour montrer qu’un expédition avait bien été envisagée un moment pour la délivrer (projet qui n’aboutit pas) et que la tante et l’épouse de Jean de Luxembourg songèrent un moment à protéger la Pucelle des intentions que ce dernier avait de la livrer aux Anglais en faisant promettre à Jean de Luxembourg qu’il ne le ferait pas. La mort opportune de sa tante, Jeanne de Luxembourg, partie en voyage, permit finalement à Jean de se sentir libéré de sa parole et de vendre sa prisonnière aux Anglais pour la somme de 10.000 livres.

    Philippe Ramos veut aussi montrer que Jeanne ne rencontra pas forcément que des personnes hostiles sur son chemin une fois privée de liberté et qu’en maintes circonstances il aurait pu se faire qu’elle échappât à ceux qui l’avaient saisie. Il prête ainsi au médecin qui la soigna après sa chute du haut de la tour de Beaurevoir l’intention de faire durer longuement le temps de convalescence en usant de subterfuges (ce qui est une belle invention de cinéaste) et à un moine celle de faire rendre à Jeanne des habits de femme pour lui éviter d’être déclarée relapse après la promesse faite au cimetière de Saint-Ouen lors du procès de Rouen de ne plus revêtir d’habit d’homme, et le fait est qu’ayant été trouvée vêtue à nouveau en homme, elle fut presque immédiatement conduite au bûcher pour y être brûlée vive, mais là encore, la présence de ce moine avec ce projet en tête est pure fiction de réalisateur, car en réalité il ne s’est trouvé personne pour aider Jeanne en ce sens.

    Décidément, Jeanne la pucelle de Rivette reste, pour le moment, la meilleure réalisation sur la vie de Jeanne portée à l’écran.

  2. Après lecture, et sans avoir vu le film, je retiens tout de même ceci : les versions Dreyer, Rivette, et enfin Ramos, quelle qu’en soit leur exactitude historique, démontrent à quel point le sujet réclame une forme ascétique, mieux à même sans doute de questionner le tourment mystique du personnage. Vouloir en faire une championne guerrière, une chevalière héroïque et fantaisiste, relève quasiment de l’hérésie.

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