André Sauvage, 1928 (France)
Qu’extraire du seul film qui nous soit resté d’André Sauvage ? Ses premiers documentaires, La traversée du Grépon (1923) et Portrait de la Grèce (1927), ont été perdus ; il n’en reste presque un siècle plus tard que des bribes. Pivoine (1929) s’est retrouvé sans voix car le film a connu des problèmes techniques ; pourtant le clochard qu’incarnait Michel Simon a, grâce à Renoir en 1932, été ramené à la vie (Boudu sauvé des eaux). Enfin, le projet de La croisière jaune, son dernier tournage, lui est retiré avant la fin car la démarche de Sauvage ne satisfaisait pas à l’attente des commanditaires. Études sur Paris est donc le seul film achevé et préservé de ce réalisateur.
Ses études sont topographiques, historiques et architecturales (tout style, toute fonction, toute époque), sociologiques et humaines (passants divers, lavandières, livreurs, gendarmes, petits marchands…). Ses études concernent aussi l’art du montage cinématographique (en voyant ce film, il n’est pas difficile de penser à Vertov). Elles dépassent même à l’occasion le simple objet filmé pour suggérer autre chose : voler avec le Génie de la Bastille, assister à la séparation de deux anonymes sur le Quai des fleurs et (eux à nouveau ?) les voir s’embrasser sur l’Île des Cygnes, puis, après la Porte Maillot, gagner un peu d’ivresse sur les montagnes russes…
André Sauvage pose donc sa caméra en différents endroits et décrit cinq itinéraires à travers la capitale. Dans le premier, la caméra embarquée sur les canaux (Saint-Denis et Saint Martin), le cinéaste nous fait pénétrer dans Paris intra-muros au rythme des péniches. Après une courte série de plans repères sur la tour Eiffel, la Porte de Versailles est ensuite choisie pour débuter le second itinéraire. Appelé « Nord-Sud » du nom de la compagnie de métro qui se déployait sur trois lignes avant les années 1930, cette promenade nous conduit de Vaugirard à Montmartre : la caméra se pose rue de Briançon, près du marché aux chevaux (près des abattoirs que Franju filmera dans Le Sang des bêtes en 1949), aux alentours de la Concorde ou encore dans l’enceinte du Louvre. Le troisième itinéraire, plus court, nous fait déambuler sur les îles : Saint-Louis, la Cité et l’Île des Cygnes. Le quatrième emprunte le chemin de la petite ceinture et, tout en faisant une sélection de lieux bien spécifiques, entreprend un tour d’une trentaine de kilomètres.
Ci-dessous la « petite ceinture » d’après une carte de 1898 (un clic pour agrandir) :
La dernière partie accélère le mouvement et enchaîne entre le 5ème et le 6ème arrondissement une nouvelle série de monuments, d’avenues et de jardins. Qu’ils défilent ou que l’on s’y arrête, les paysages sont organisés par les cadrages et le montage de telle manière qu’ils semblent décrire une fugue.
Nous avons essayé de repérer le parcours du cinéaste sur les cartes présentées dans cet article. D’abord une carte du « Paris monumental » de 1928, puis la « petite ceinture » et ici une carte du métro des années 1920 (chaque parcours est identifié par une couleur, chaque pastille s’efforce plus ou moins fidèlement de situer les lieux filmés).
En 1928, la caméra de Sauvage imprime sur pellicule un Paris très proche de celui que saisit Atget dans son objectif entre 1898 et 1927 (Paris pittoresque, La Topographie du Vieux Paris ou la série des parcs et jardins). Dans le film et sur les photos, les visages sont semblables, de même les petits métiers (les cris de Paris), les façades de boutiques, les cours d’hôtels particuliers, les pavés, les ponts, Notre-Dame… Sauvage élève aussi la caméra et filme à plusieurs occasions depuis les toits parisiens. Ce sont alors les carrefours et les grandes artères qui sont mis en évidence mais également l’horizon urbain qui très loin s’étend quelque soit la direction. Sauvage saisit ainsi les transformations de la capitale qui en grandissant, absorbe les campagnes environnantes (près Saint-Gervais, Bicêtre…). Voitures et métro remplacent les chevaux, les périphéries éloignées accueillent les usines, les terminaux ferroviaires ou déjà sont envahies de nouveaux chantiers de construction.
Voici une sélection de plans mis en perspective avec des images satellites ou des images de synthèses (là, on abandonne toute poésie) représentants (avec leurs défauts) les mêmes lieux dans les années 2008-2012 (captures d’écrans faites sur Google Earth ou Google Map ; les images satellites datent de 2008 mais les données cartographiques sont régulièrement mises à jour). La tour Eiffel demeure un phare dans Paris dès lors que l’on s’élève un peu au-dessus des toits. L’Opéra, la fontaine de la Victoire sur la place du Châtelet, le Sacré-Cœur, la tour Saint-Jacques ou la colonne de Juillet place de la Bastille sont aussi de très commodes repères. André Sauvage a le soucis de nous situer en introduisant dans ses plans ces repères, ou en se servant de ces derniers comme d’axes à partir desquels il s’applique à faire ses panoramiques.
Les cartes et plans anciens de Paris (libres de droits) sont disponibles sur la page suivante de Wikimedia. On consultera aussi avec intérêt la page de DvdClassik sur ces Etudes d’André Sauvage.