Pawel Pawlikowski, 2018 (Pologne, Royaume-Uni, France)
Auréolé du prix de la mise en scène au festival de Cannes 2018, Cold War est donc le dernier film de Pawel Pawlikowski, réalisateur polonais à la carrière déjà bien remplie mais particulièrement mis en lumière par son précédent long métrage, Ida, récompensé par l’Oscar du meilleur film étranger en 2015. Une belle carte de visite, même si on aurait tendance à dire qu’en temps normal convaincre le public d’aller voir un long métrage polonais filmé en noir et blanc au format 4/3 relève de la gageure. Mais ce serait sans compter sur le talent du bonhomme, qui en plus d’être un réalisateur sacrément talentueux semble flairer avec un certain succès les tendances actuelles. Pour tous ceux qui ont vu la bande annonce du film ou quelques photographies dans la presse culturelle, les choix artistiques de Pawel Pawlikowski s’imposent comme une évidence, à l’heure même où le cinéma, contrairement à la photographie, semble avoir oublié que le noir et blanc n’est pas une version dégradée du 7ème art, mais magnifie au contraire la lumière de bien des manières. Nous y reviendrons ultérieurement.
S’il fallait résumer Cold War [films à regarder], nous pourrions écrire par facilité qu’il s’agit d’une histoire d’amour sur fond de Guerre Froide, mais ce serait prendre une direction un peu hasardeuse et franchement réductrice. Le film repose intégralement sur deux personnages. Un homme, Wiktor, pianiste taciturne entre deux âges au regard un peu triste, venu de la grande Varsovie avec deux collègues chercher les talents de la campagne. Une femme, Zula, éclatante de jeunesse, à l’éducation plus rustique, néanmoins d’une grande intelligence et d’une certaine finesse. Entre eux l’amour est presque immédiat, puissant, inévitable. Mais il contient déjà en lui les germes du drame. Zula est donc recrutée pour sa voix, mais également pour sa fraîcheur et son audace, elle participera à un spectacle folklorique à la gloire de la culture populaire polonaise. Wiktor dirigera en grande partie la troupe et par ses talents artistiques permettra à ce projet sans âme commandé par les caciques du parti de se transformer en une réussite indiscutable. Oui mais voilà, Wiktor a d’autres ambitions artistiques et son désir de quitter la troupe, voire la Pologne, se fait de plus en plus pressant. A l’occasion d’une représentation à Berlin, Wiktor tente de convaincre Zula de prendre la fuite avec lui et de passer à l’Ouest. Pourtant, à l’heure du rendez-vous Wiktor doit se rendre à l’évidence, Zula, malgré ses promesses d’amour n’est pas venue. Wiktor s’engage donc seul sur la route qui le mène vers l’Occident et vers sa liberté supposée. Désormais installé à Paris, il fréquente les cercles littéraires et les intellectuels français et vit plus ou moins bien de sa musique comme arrangeur et pianiste dans les clubs de jazz de la capitale. Cependant, tout au long de ces années d’exil volontaires, il n’aura de cesse de revoir Zula, quitte à prendre des risques inconsidérés pour sa propre sécurité. Sans cesse le rideau de fer se dresse entre leur amour, infranchissable et implacable, mais renforçant paradoxalement leur amour. Pour quelles raisons donc Zula, malgré l’amour évident qu’elle porte à Wiktor, a-t-elle refusé de le suivre ? Pourquoi même lorsqu’ils sont réunis cet amour ne peut-il s’épanouir librement ?
[Parmi les films vus dans les salles récemment] D’une beauté plastique à couper le souffle grâce à la photographie sublime de Lukasz Zal (également directeur de la photographie sur Ida), Cold War a tout compris au cinéma ; les choix techniques et esthétiques, par leur inventivité et leur perfection, pourraient faire figure de cas d’école. Certains plans sont tout simplement à tomber par terre et en matière de gestion de la lumière, Lukasz Zal et Pawel Pawlikowski prouvent que leur association est l’une des meilleures choses qui soit arrivée depuis bien longtemps dans le monde du cinéma. Cadrages d’une élégance folle, contrastes, textures… tout y est. Cold War est un film qui saura satisfaire l’esthète qui sommeille en chaque spectateur ; sans aucun doute le film a-t-il amplement mérité sa récompense cannoise. Cette perfection plastique pourrait tomber à plat ou paraître trop désincarnée si le réalisateur avait oublié en cours de route ses acteurs, mais Pawlikowski a le don de filmer, en particulier son actrice principale (Joanna Kulic), avec une grande proximité. Sa caméra fait la part belle aux plans serrés, se veut très sensuelle dans ses mouvements, caressant presque les personnages (la scène où Zula chante dans un club parisien est d’une maîtrise formelle qui laisse pantois). La musique, omniprésente tout au long du film, contribue également à renforcer cette proximité, enveloppant littéralement les acteurs et plongeant chaque scène dans une atmosphère envoûtante.
Oui mais voilà, en dépit de toutes ses qualités, Cold War souffre de privilégier un peu trop la forme aux dépens du fond et l’on ne peut s’empêcher de regretter que le film manque un tout petit peu de ce supplément d’âme qui le ferait basculer du côté des chefs-d’œuvre absolus. L’histoire d’amour, aussi belle et forte soit-elle, manque quelque peu de passion et de folie, tout cela est bien trop sage et aurait gagné en profondeur si le réalisateur n’avait pas échoué à illustrer l’implicite de manière plus prononcée. Le film échoue dans sa capacité à réellement émouvoir autrement que par son aspect purement visuel, même si le film de Pawel Pawlikowski compte à son actif quelques très belles scènes, en particulier dans sa dernière partie. Cold War reste malgré tout un grand film, impressionnant par ses qualités qualités techniques et artistiques.
En DVD, Blu-Ray et VOD depuis le 5 mars 2019 chez Diaphana Edition Video. Voir site de l’éditeur et sa page Facebook.
Je n’ai pas été convaincu pour ma part, tant du point de vue formel (un format 1,37:1 avec des lignes verticales assez froides et donc peu en adéquation avec ce sujet d’une grande histoire d’amour ; une narration fragmentée et impressionniste qui ne restitue pas le sentiment du temps qui passe) que du point de vue des émotions (je me suis senti tenu à l’écart du destin de Wiktor et Zula), car les deux sont intimement liés. Restent les deux acteurs, très bien. Je m’explique plus en détail « chez moi ».
Moi j’aime bien la forme, même si sur le fond je suis d’accord avec toi, il manque quelque chose à cette histoire d’amour.
Quelle film sublime ! Il ne m’a manqué qu’une chose : une passion plus palpable et dévorante entre les deux amants.
Je suis globalement du même avis. Comment ne pas être charmé par ce sens du cadre, cette économie du découpage qui sait se caler sur le juste rythme de la caméra ? Mais ce supplément passionnel qui fait défaut n’est-il pas dû finalement à la structure elliptique du scénario ? Le détachement dont fait montre Tomasz Kot à travers son personnage n’aide pas beaucoup non plus.