Blue Valentine

Derek Cianfrance, 2010 (États-Unis)




On colle, on déchire, on répare, on recolle, parfois ça tient, d’autres fois non, l’amour est-il question de constants réarrangements ? Placer une scène avant une autre, un mot et puis l’autre, un de trop, revenir en arrière et remettre l’amour sur la table de montage afin de l’éprouver, c’est ce à quoi s’essaye Derek Cianfrance pour son second film.

Le scénariste et réalisateur ne porte pas sur le couple une image idyllique. Il y a bien eu de jolis moments dans l’histoire de Dean et Cindy (Ryan Gosling et Michelle Williams tous deux excellents) mais ils sont maintenant derrière. Six ans ont passé et avec ce temps, pour Cindy, toute l’envie de continuer de vivre avec lui. Dean a changé, fait un boulot qui ne l’intéresse pas et boit, mais il garde de l’amour pour sa femme. De plus, il travaille pour son foyer et pour une fillette qui n’est probablement pas de lui. Elle, de son côté, a des opportunités, peut-être de simples illusions, et sature en silence de sa vie médiocre et d’un conjoint qui n’a jamais su aller plus loin.


« Here, been here, stayed here, never left here. »


Pourtant les images de la rencontre demeurent jusqu’au bout du film. Ce n’est pas comme 5×2 d’Ozon (2003) qui montrait bien l’usure du lien amoureux mais surtout inscrivait par ses cinq flash-backs successifs une distance réelle entre la rude séparation et le bonheur passé. Au contraire, dans Blue Valentine, le réalisateur laisse les débuts de la relation resurgir et s’immiscer dans l’esprit de Dean et de Cindy, leur rappeler ce pour quoi ils sont ensemble aujourd’hui. Ou bien confronter ce passé et les espoirs qu’il suscitait à un présent terne et malheureux. Cianfrance construit donc son film sur un montage alterné et sur un découpage qui s’accélère en fin de récit (le grain du 16mm pour le passé et un numérique plus lisse et plus froid pour le présent). Les premiers échanges (un beau raccord sur le regard dans l’embrasure d’une porte) ne cessent d’interférer sur le quotidien, le rendant plus amer qu’il ne l’est. Cependant, le passé n’est pas idéalisé comme sur la carte postale finale d’Ozon et la rupture qui finit par arriver a pour cause véritable la différence des milieux sociaux d’origine et les exigences inhérentes à ces milieux. Dean s’est toujours contenté de peu mais son engagement a toujours été sincère. Cindy se retrouve infirmière plutôt que médecin et, draguée par un ex dans les rayons d’un supermarché, elle se remet en question.

La continuité particulière de la trilogie des Before de Linklater (Before sunrise en 1995) laissait à sa façon apprécier l’évolution des relations d’un couple jusqu’à la crise (dans Before midnight, 2013), certainement fondée sur des désillusions, sur la fuite du temps, sur l’effondrement brutal d’un échafaudage d’arrangements*. Dans Blue Valentine, en ramenant ainsi le passé dans le présent, Derek Cianfrance accorde à son tour une grande importance aux questions de temps et de mémoire dans la vie du couple ; des questions qui pèsent sur le devenir de la relation et l’entraînent parfois vers la ruine. Toutefois, plutôt que de voir Ryan Gosling s’éloigner, tournant le dos à sa femme et à sa fille, c’est peu avant sur une autre scène que l’on préfère s’arrêter. On posera alors d’autres questions, certainement plus légères. Pourquoi Dean va-t-il chercher sa bague dans les herbes aussitôt après l’avoir arrachée de son doigts ? Et surtout pourquoi Cindy finit-elle par la chercher avec lui ?





* Avant le refus de ses producteurs et pour rassurer son acteur qui avait des doutes sur ce qu’il était capable d’apporter à son personnage, Derek Cianfrance avait lui aussi envisagé de tourner avec six ans d’intervalle.

Une réponse à “Blue Valentine”

  1. Une vision du couple effectivement assez terrible, même les moments de bonheur au début de la relation entre Dean et Cindy ont l’air un peu factices comme s’ils se forçaient à donner l’illusion d’un accomplissement partagé, mais l’on sent bien que tout ceci est de toute façon dicté par d’autres impératifs et par la nécessité de faire face à des éléments que de toute façon ils ne maîtrisent plus.

    Le film aborde également un point intéressant concernant la notion de « médiocrité » on y sent poindre comme une critique du modèle social américain, où la notion de réussite est quasiment une injonction. Dean aborde d’ailleurs franchement la question lors de la discussion dans la voiture, lorsqu’il explique à Cindy qu’il n’a pas d’autre aspiration que vivre sa vie de père et de mari et que cela suffit à son bonheur. C’est la seule réussite qu’il souhaite, mais elle n’est évidemment pas satisfaisante pour Cindy, qui a vu ses ambitions sociales et professionnelles réduites à « néant » par sa grossesse accidentelle.

    Le film est vraiment d’une grande profondeur thématique et psychologique, mais très dur. Vaut mieux pas le voir avec le moral en berne.

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