Belle de jour

Luis Buñuel, 1966 (France)

Belle de jour commence par un rêve : la fameuse scène de la promenade en landau qui se termine dans les bois, où les cochers, fouet à la main, violent Séverine sous les yeux du mari. L’illusion intrusive occupe les derniers plans de la séquence de clôture : Séverine d’un balcon domine la calèche vide qui poursuit sa route. La droite trajectoire du couple bourgeois dans la calèche est interrompue par les désirs inavoués de la femme, Catherine Deneuve [1] qui, afin d’assouvir ses pulsions, descend l’échelle sociale et se compromet horizontalement avec l’inconnu des classes subalternes. A cause des acoquinements de sa femme avec un truand [2], l’époux (Jean Sorel) finit sur un fauteuil à l’instar du mari impuissant de Lady Chatterley (Ferran, 2006) [3]. Buñuel, de la même génération que Cukor et Hitchcock, met en scène comme ces derniers la ruine du couple à travers le mariage (Soupçons, 1941, ou Hantise, 1944).

Le cinéaste espagnol emploie dans son film toute une palette de symboles, ceux du rêve qui se répand sur l’écran (flous et surfaces diaphanes), ceux de la pureté (blondeur et chignon rappellent Kim Novak, Tippi Hedren, Grace Kelly) et de la perversion (cheveux détachés, boue jetée par Michel Piccoli, sous-vêtements brûlés). Dans une société qui dans les années 1960 est encore « paralysée par les tabous » [4], Luis Buñuel détaille ainsi la perversion sous tous ses aspects [5] : sadisme, masochisme, pédophilie (l’ouvrier sur Séverine enfant)… Jusqu’à la nécrophilie d’une séquence qui associe étrangement dans nos esprits Stanley Kubrick et Jean Rollin : l’atmosphère au château du duc (Georges Marchal) ramène au moment qui précède l’orgie dans Eyes wide shut (1998) et Catherine Deneuve, dans un cercueil, nue sous un voile transparent, affiche un érotisme proche des vampires de Lèvres de sang (1975).

Buñuel règle son compte au petit criminel qui meurt sous les balles dans la rue. Réduit ou non au seul phantasme, la part d’ombre est éliminée. La bourgeoisie, elle (Deneuve, Piccoli), même avilie par un comportement qui n’appartient pas à ses codes, retrouve le confort des grands appartements et peut à nouveau se complaire dans l’illusion.

[1] Cueillie par Buñuel, Deneuve enchaîne des rôles contrastés avant de tourner une deuxième fois avec Jacques Demy : Belle de jour et Répulsion (Polanski, 1966), Les demoiselles de Rochefort (1967).
[2] Pierre Clémenti, chaussette trouée sous la bottine luisante. Pas Belmondo mais pas loin, il est introduit par le cri d’un vendeur de journal sur les Champs-Élysées, « New York Herald Tribune ! » (A bout de souffle, Godard, 1959).
[3] La prise de conscience qu’a Séverine de l’état de son mari impressionnent dans sa réalisation comme celle du cadavre découvert par Lydia dans Les oiseaux (1963). En trois plans terrifiants, Hitchcock nous rapprochaient des orbites noires du mort. En trois temps également, mais d’une façon plus sophistiquée (travelling arrière, mouvement descendant et contre-plongée), Buñuel aussi nous fait peur.
[4] Michel Aubriant, Paris-Presse, le 8 juin 1967. Voir l’accueil critique du Belle de jour sur le site de La cinémathèque française.
[5] Ne dévergonde-t-il pas lui-même Catherine Deneuve et Macha Méril, toutes deux venant de jouer les jeunes filles convenables dans Les parapluies de Cherbourg (Demy, 1964) et Une Femme mariée (Godard, 1964) ?

Une analyse à voir et écouter de Belle de jour par le cinéaste et historien du cinéma Noël Simsolon faite en 2007 à l’initiative du Forum des images.

Une réponse à “Belle de jour”

  1. Très beau film, en effet, que ce Belle de jour même si mon souvenir demanderait à être rafraichi. Bunuel disséquant les mœurs de la bourgeoisie – et s’en moquant (Le journal d’une femme de chambre, Le charme discret de la bourgeoisie) -, c’est toujours du plus haut intérêt (et souvent fort drôle avec son penchant naturel pour le surréalisme) ce qui s’ajoute à d’extraordinaires qualités de mise en scène. Il faudrait que je me penche plus sur son œuvre.

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