Bacurau

Kleber Mendonça Filho, Juliano Dornelles, 2019 (Brésil)

HOLY LAND

Au Nordeste du Brésil, le petit village de Bacurau a disparu. L’instit a beau parcourir le sertão sur les images satellites visibles sur internet, sa bourgade n’y figure plus. Le couple de motards en tenues bariolées qui arrive dans la communauté pour y boire un rafraîchissement et participer à des manigances dont on ne soupçonne pas encore la portée, assure aux habitants que leur village n’était pas sur la carte. Dans le coin, plus de réseau téléphonique et un étrange engin, comme une soucoupe volante miniature, survole les environs à basse altitude. Dans les premières scènes, les réalisateurs nous font découvrir le territoire, la campagne brésilienne, ses friches vertes traversées par des chemins de terre sinueux ou par de longues routes droites trouées de nids de poule. Le territoire est abandonné de la police et des services publics (une école abandonnée au détour d’un plan). Dans un climat troublé et à la suite de petites bizarreries multiples, les réalisateurs nous confrontent aussi rapidement aux enjeux : l’accès à l’eau potable et le politique corrompu qui cherche à tout obtenir des électeurs achetés à coup de denrées périmées et d’antalgiques qui abrutissent et qu’on se fourre aux fesses. Alors que Jair Bolsonaro accède au pouvoir en janvier 2019 (quand le film est encore en production), Bacurau fait le récit absolument surprenant, et trop peu dystopique, d’un village de résistants dans une région frappée par les inégalités socio-économiques.

Bacurau commence par un cortège funèbre et l’enterrement d’une grand-mère, Carmelita (¿ Ay, Carmela ?), figure emblématique et aimée du village. Le film a commencé d’une voix, celle de la communauté soudée dans ses couleurs et sa diversité, avec parmi les paysans, une vieille médecin à écouter (Sônia Braga), des prostitués généreux, un gang de criminels réfugiés (dont l’androgyne Silvero Pereira), un vieux shaman pas maladroit avec un fusil et un blues-man un peu taquin. Alors qu’ils échafaudent leur intrigue et avant que le sang ne se répande, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles filment ces gens de façon simple, des visages réels dans un décor de western. Face à eux, un groupe étrange qui pourrait être composé des nouvelles recrues missionnées pour chasser un Predator. Chacun dans cette bande-ci est étranger à l’État du Pernambouc et même de la région entière du Nordeste. Ils sont nord-américains pour la plupart et tous dirigés par une sorte de nouveau Zaroff (Udo Kier). Les réalisateurs nous tiennent dans un certain flou sur les motivations de ces mercenaires dont on sait seulement qu’ils affectionnent leurs armes et qu’ils sont là pour le plaisir d’un jeu de massacre. Au premier sang, on craint même une violence proche de celle que fait sourdre et éclater Michael Haneke, brutale, crue et incomprise.

Mais, si la première partie du film entretient ce malaise, sans perdre de vue la charge critique envers la politique du pays, Bacurau glisse aussi progressivement vers un autre registre. La série B contamine le film par endroit, avec certains personnages ou à travers les relations entre les membres du commando de tueurs par exemple. La violence elle-même, déjà excessive, devient à la fois plus spectaculaire et plus irréelle. Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles évoquent enfin une figure propre à compléter à la perfection les films de genre qui nous sont venus à l’esprit devant le film. En effet, en utilisant en bande originale un titre composé par John Carpenter, c’est tout le cinéma le plus ouvertement critique de ce dernier qui sert de référence, Invasion Los Angeles (1988), New York 1997 (1981) ou Los Angeles 2013 (1996). La forme même rappelle Assaut (1976). Et si l’on demande comment se dit Snake Plissken en brésilien, on a maintenant la réponse : Bacurau.

 » [Au Brésil] il y a des exécutions publiques tous les jours. Elles ne sont pas perçues comme telles et c’est exactement le problème. » (Kleber Mendonça Filho, dans La Septième Obsession, sept. oct. 2019)

Non seulement Bacurau donne à voir des espaces et des populations méconnus, voire ignorés et à défendre, mais il montre aussi une communauté dans ce qu’elle a de superbe (sa diversité, son organisation, son unité) au milieu d’une politique devenue à son égard dangereuse. Ainsi, le film met en avant la caricature d’un préfet de région qui finit par vouloir éliminer les populations gênantes. Or l’agressivité de Jair Bolsonaro contre les sans-terre, les Indiens, les homosexuels et même contre des pans entier d’une culture qu’il ne contrôle pas (l’agence nationale de cinéma, l’ANCINE, est actuellement menacée), plus généralement l’attitude et les décisions du président d’extrême droite ancrent davantage le film dans une actualité nationale tout à fait inquiétante.

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