James Cameron, 2009 (États-Unis)
LA FABRIQUE DE L’ILLUSION
Le réalisateur de Abyss (1989) et de Titanic (1998) veut l’immersion du spectateur dans un monde imaginaire capable, mieux que par le passé, de se substituer à la réalité. Au-delà des galaxies et des créatures inventées, Avatar vaut essentiellement par l’approfondissement du processus d’identification du spectateur aux personnages. La technologie permet à l’environnement projeté de déborder de l’écran, à la 3D de pousser le spectateur dans le décor. Jack le marine entre dans son caisson et nous, nous mettons les lunettes. Ensemble, nous basculons dans une aventure encore exotique. Nous nous y précipitons comme le Na’vi animé se jetant à grande foulée vers de grisantes sensations. De plus, grâce à des prises de vues subjectives, James Cameron nous installe complètement dans la peau de Jack (découverte de la base militaire au trot, incarnation de l’avatar ouvrant les yeux pour la première fois). Plus loin, le héros devenu Na’vi, c’est-à-dire image de synthèse, fait la guerre aux humains qui, eux, pour résister n’opposent qu’un matériel obsolète (Sigourney Weaver utilisait déjà un de ces vieux mechas en 1986 dans Aliens). Plaisons-nous à y voir la métaphore d’un combat livré par les volumineux pixels contre l’ancienne et plate réalité. Parce que cette dernière est avec les humains chassée de la planète à la fin du récit, nous prêterions au réalisateur, avide de hautes technologies et d’effets spéciaux inédits*, de radicales intentions eu égard à la 2D…
LUMIÈRES ET GROS NÉONS VERTS
Le cinéma est lumière et ses rayons traversent Avatar de part en part : la bioluminescence que Cameron avait esquissée dans Abyss accompagne la luxuriance végétale de Pandora et empêche la nuit de tout envelopper, la profusion des couleurs rappellent aussi les maladresses réalisées à la découverte des nouvelles possibilités numériques (Au-delà de nos rêves de Vincent Ward en 1998). De toute, le vert est certainement la couleur la plus persistante puisque le scénario est épaissi d’une ambition écologique (l’arbre de vie est une idée ancienne). Sans être grossier, le thème est peut-être même plus finement abordé dans cette fiction que dans les documentaires comptant sur la terreur pour que la prise de conscience d’une nature à préserver devienne collective.
SYNTHESE
Avatar est une coquille vide. Pour développer son attraction, Cameron a préféré une histoire simpliste (plusieurs l’ont dit, cela se résume à des Indiens chassés de leur réserve par l’envahisseur américain). Cela ne signifie pas qu’il faille oublier le film. Loin de là. Avatar met à disposition de l’humain une expérience de simulation stimulante. Un peu longue… Sans aller jusqu’à la confusion de la trilogie Matrix (Wachowski, 1998-2002), nous attendons également qu’une « complexification raisonnable » du récit suive les progrès de l’imagerie de synthèse. Par conséquent, ni un point de rupture, ni une révolution. Rien de brutal. Récupérant ça et là, et épaulé par ILM et Weta Workshop, James Cameron poursuit ses investigations. Toutefois, davantage que les réalisations des studios Pixar ou de Robert Zemeckis, Avatar participe à la mue cinématographique moderne.
* Sur les ordinateurs des ingénieurs d’ILM, le morphing du T-1000 dans Terminator 2 en 1991 est une avancée spectaculaire, les appareils utilisés pour les explorations sous-marines de Cameron au début des années 2000 (Expedition : Bismarck ou Aliens of the deep) témoignent d’après les critiques d’une débauche scientifique, ou encore le relief toujours réinventé et proposé dans les salles IMAX (T2 3-D : Battle across time en 1996, Les fantômes du Titanic en 2003).
LE (très) grand film de cette fin d’année, incontestablement. Avatar est un spectacle total à découvrir impérativement sur grand écran pour une immersion complète dans le monde merveilleux de Pandora… Une boîte de Pandore qui s’ouvre pour une invitation au voyage dans un univers nouveau pour un très grand moment de cinéma, comme seules les trilogies du Seigneur des anneaux ou celles de Star wars ont su nous transporter jusqu’à présent. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’Avatar ne se transforme également en trilogie dans les années à venir… Une suite me semble déjà inévitable.
Avatar (initialement baptisé Projet 880), comme les films épiques précédemment cités, est une œuvre sur laquelle on pourrait écrire une chronique à rallonge tant il y a de choses à dire ! Commençons juste par le sujet.
Ici les aliens, les « extraterrestres », sont les humains (des « extra-pandoriens » en quelque sorte) et les ennemis. La luxuriante Pandora est une planète qui recèle des richesses incomparables et les hommes ont décidé de la piller, comme ils le faisaient déjà auparavant sur Terre : si un autochtone est assis sur un précieux minerai, il devient inévitablement un « sauvage » et doit être chassé ou éliminé. Afin d’obtenir de précieuses informations sur les lieux tant convoités (ainsi que sur les Na’vi, habitants de Pandora), l’homme a créé des « avatars », des clones de Na’vi croisés génétiquement avec de l’ADN humain, qui peuvent être « pilotés » à distance par la pensée. On suit donc Jake Sully, ancien marine paralysé mais au moral d’acier, dans sa mission d’infiltration. Sauvé dans l’hostile jungle pandorienne par Neytri, sa vision des choses est bientôt bouleversée et il tombe littéralement amoureux de la planète, de ses habitants et de cette belle bleue… Il est par conséquent amené à changer de camp pour embrasser la cause Na’vi et les aider contre l’envahisseur humain.
Avatar réunit tous les éléments, les codes inévitables d’un grand film de science-fiction : le bien et le mal, les bons et les méchants, un « élu » sauveur (dont on imagine que l’arrivée est annoncée par d’antiques prédictions), des engins spatiaux ultra perfectionnés dans un environnement robotique et informatique très avancé, une science qui maîtrise les transformations génétiques, un monde neuf où la faune et la flore donnent lieu à une multitude d’espèces toutes aussi incroyables les unes que les autres. Enfin, bien sûr, une guerre aux batailles impressionnantes et une belle histoire d’amour impossible entre un homme et une femme (un mâle et une femelle si vous préférez) des deux races ennemies. Ajoutez un récit au discours écologique dans l’air du temps (le respect de l’environnement et de chaque être qui le compose) et le cahier des charges est on ne peut plus respecté !
Visuellement époustouflant (c’est peu de le dire), ce méga-blockbuster franchit un palier significatif en matière de maîtrise de l’image de synthèse et de 3D mêlée aux prises de vues réelles ; en ce sens Avatar apparaît comme techniquement révolutionnaire. Alors à ce rythme-là, à quoi devons-nous nous attendre dans les cinq ou dix ans à venir ? Au-delà de la prouesse technique incontestable, ce sont surtout les émotions et l’histoire (un scénario très bien ficelé) qui accrochent le spectateur durant les 2h40 de projection. Les expressions des visages des doubles en image de synthèse sont d’une précision hallucinante, les paysages paraissent bien réels… Et la multitude de trouvailles sur la géographie et l’écosystème de cette planète (telles que la bioluminescence des corps, les liens unissant chaque être vivant de cette planète entre eux, etc.) rendent l’immersion totale. Pour ce qui est des acteurs, Sigourney Weaver est à nouveau de la partie aux côtés de Cameron (depuis Aliens, le retour en 1986), ainsi que le (anti) héros Sam Worthington (Terminator renaissance de McG, 2009).
Avatar n’est peut-être pas exempt de défauts, mais à quoi bon chipoter lorsqu’on est face à un tel spectacle ? D’ailleurs, avant sa sortie le film a été accusé de plusieurs plagiats : avec le film d’animation Delgo (Marc F. Adler et Jason Maurer, 2008) et également avec Call me Joe, une nouvelle SF signée Poul Anderson (1957). Cette dernière relate l’histoire d’un explorateur paraplégique qui prend possession d’un corps alien par le biais de la télépathie afin d’explorer sa planète inhospitalière ! En effet, quelques troublantes ressemblances… Enfin, Avatar a pris une telle envergure et sa réalisation a été si complexe et coûteuse (désormais le film le plus cher de l’histoire !) qu’il s’agit du premier long métrage de Cameron depuis 1998 (et son fameux Titanic ; le péplum Ghosts of Vesuvius ayant apparemment été mis sur la touche), tout de même ! Un projet cinématographique qui a mûri depuis plus de quinze ans dans l’esprit du réalisateur avant que les effets spéciaux nécessaires ne soient vraiment au point pour porter à l’écran l’intégralité de cet univers imaginaire. En 2002, c’est en voyant Gollum évoluer dans Les deux tours de Peter Jackson que Cameron a jugé que la technique était enfin au point. Un vrai grand et beau spectacle, un moment rare de cinéma certes grand public au discours très politiquement et écologiquement correct, mais dans lequel j’ai marché à fond !
Ludovic
Ah…
J’ai comme l’impression qu’on n’est pas d’accord Ludovic. Voire qu’on a vu deux films différents…
Pour moi Avatar est une des plus grosses bouses de cette année. Bon, c’est peut-être parce que moi et la SF ça fait 8, et que j’ai toujours du mal avec le sérieux ronflant de ce type de productions pleines d’animaux et d’humains aux noms improbables (« attention, derrière toi, un trokorpex ! appelle Dar-Al Bijlar, il a un fluide 10 puissance 42,6 qui en viendra à bout »). Mais je crois aussi que Cameron est passé complètement à côté de son sujet (la fin de l’humain), et qu’il a réalisé son plus mauvais film. A moins que tu n’aies gardé une solide âme d’ado (et encore), je ne vois pas pourquoi tu as aimé ce film… juste pour la technique et l’histoire bien racontée, ce qui se discute par ailleurs ?
Mes saluts !
Gols (Shangols)
Je suis plutôt d’accord avec Benjamin. J’ai l’impression que Cameron s’est fait bouffer par la technique. Visuellement c’est parfait, la 3D est vraiment impressionnante… Les scènes d’action sont filmées lentement (les mouvements de caméra ne donnent pas le vertige) et c’est ce qu’il fallait pour un film en 3D. Seule exception, la première scène de poursuite dans la « jungle » : On a encore l’impression que c’est filmé à l’ancienne* (c’est précisément à ce moment ou je me suis demandé si je n’allais pas ressortir avec un mal de tête du tonnerre). En fait non, le reste du film est parfait sur ce point.
Mais est-ce que ce film restera un classique de la science-fiction ? Pas pour moi en tous cas. Le déroulement de l’histoire est convenu et les personnages manquent d’épaisseur. Des faits qui paraissaient important au début, n’apportent finalement que peu de choses à l’histoire : la mort du frère du héros ou son handicap par exemple… Si vous avez aimé le scénario d’Avatar, vous pouvez revoir sans problème Danse avec les loups (Costner, 1990 ; que je ne critique pas, j’adore ce film). On remplace les Indiens par les Na’vis et on y est. En gros, rien de neuf quoi.
* Paradoxalement, j’entends par « à l’ancienne » la façon moderne de filmer les scènes d’action, avec une caméra la plus mobile possible. Pour Cameron, la nouvelle façon de tourner une scène d’action en 3D impose une caméra un poil plus statique.
Tes remarques sur la stabilité de la caméra sont intéressantes et la façon de faire paradoxale quand il s’agit de filmer une scène pleine de mouvement. D’autant plus qu’il faut (aussi je l’imagine) deux équipes de tournages pour obtenir deux points de vue d’une même action et ainsi restituer la 3D en post production. Afin de coordonner ces équipes, les déplacements de caméra ont dû faire l’objet d’une attention toute particulière (j’ai regretté de ne pas y avoir prêté une plus grande attention : travelling, caméra embarquée, Cameron s’est-il restreint ? Je n’est pas l’impression que cela ait été une gêne).
Je ne pense pas non plus que Cameron se soit restreint. Je pense que cette façon de filmer fait partie de la technique qu’il a mise au point, afin que la 3D soit plus naturelle, moins agressive. Pour la 3D en particulier et le cinéma en général, c’est clairement une page qui se tourne.
Et donc quand je dis qu’il s’est fait bouffer par sa technique, c’est juste que dans le temps qu’il était imparti, j’ai clairement ressenti qu’une majeure partie a été utilisée à parfaire la technique au détriment du scénario.