Ridley Scott, 1979 (États-Unis)
Alternant moments de contemplation et sentiment d’oppression, 2001 : l’odyssée de l’espace (Kubrick, 1968) retraçait (aussi) l’évolution de l’homme et peut-être approchait-il une définition de l’humanité. En réaction, selon notre interprétation, Alien évoque la désunion d’un groupe, la déshumanisation de ses individus et la résistance qu’oppose le lieutenant Ellen Ripley (Sigourney Weaver*).
Scott enserre l’humain dans un étau fait de machines (mécanique et informatique) et d’un organisme animal soi-disant parfait, l’alien. Quatre hommes et deux femmes de chair et de sang habitent le vaisseau commercial Nostromo et dépendent de l’ordinateur de bord appelé « Mother » (ce qui tendrait à signifier l’origine artificielle des voyageurs). Ash (Ian Holm), le scientifique qui s’est joint au groupe et responsable de la mission secrète qui les condamne (ramener l’organisme « étranger » sur Terre), est un androïde. Le vaisseau endommagé, les techniciens œuvrent longtemps pour sa réparation (Harry Dean Stanton et Yaphet Kotto). Pendant ce temps, dans les couloirs du Nostromo et face à ces machines desquelles les humains dépendent, erre le monstre gluant qui par un sourire rappellera à l’équipage son instinct de survie. Ridley Scott s’attache d’ailleurs bien à nous en montrer chacun de ses cycles naturels (ponte, parasitisme, mue, prédation…).
Alien marque la science-fiction car, dans une ambiance inédite, il trouve une place idéale après le chef-d’œuvre de Kubrick et le space opera de Lucas (La guerre des étoiles, 1977). Trois plans font directement écho à 2001 : les reflets de couleurs vives sur les casques ronds des cosmonautes, les capsules pour voyage spatio-temporel sur fond blanc et, surtout, le dernier plan, où Ripley offre son visage endormi sur un ciel étoilé (le fœtus flottant dans l’espace clôt 2001).
A partir d’une commande, Ridley Scott parvient, dans l’immensité spatiale, à faire un huis clos terrifiant (« In space no one can hear you scream »). Dans le noir, les décors et le rétrécissement des espaces angoissent à rendre claustrophobe. La transposition sur pellicules de l’imaginaire de Hans Ruedi Giger participe à l’identité du métrage. La caméra est prudente ou affolée selon les travellings mais toujours la tension est préférée à l’action, ce que traduisent aussi les lentes mélodies de Jerry Goldsmith.
La machine est connaissance, habitat voire cocon spatial et « mère ». L’horrible animal, lui, se sert de l’homme pour enfanter. L’humain n’est-il devenu qu’instrument ? C’est ce contre quoi se bat une femme dans l’espace, peut-être la seule mère potentielle légitime.
* Avant Alien, Sigourney Weaver, trente ans à peine, n’avait tourné qu’un seul film dans un rôle très secondaire (Annie Hall de Woody Allen, 1977).
Ridley Scott joue assurément avec différentes visions de la féminité: la femme dévoratrice à laquelle ressemble la créature conçue par Giger (sorte de Vagina Dentata géante … voir le film d’horreur Teeth), l’embryon qui dévore son concepteur, comme une allégorie du trou noir qui avale l’univers. Giger était un disciple de Dali, on peut voir chez lui également un travail sur les visions enfouies dans l’inconscient.
Face à ces créatures fantasmatiques, la femme-homme Sigourney Weaver, très androgyne, paraît la seule capable de remettre de l’ordre, un peu comme le personnage Mother Sarah dans le manga éponyme écrit par Katsuhiro Otomo.
Toute cette féminité contrariante pour l’imaginaire masculin fait de ce film un véritable cauchemar pour les hommes!
A noter aussi que les décors et les fameux scaphandres sont signés par Moebius, dont l’œuvre bénéficie d’une exposition en ce moment à Paris.
Ripley, « la seule mère potentielle légitime » : tout à fait, Aliens, le deuxième épisode tourné par Cameron exploitera cette thématique plus profondément, à travers la relation entre Ripley et la fillette Mewt, mais aussi en évoquant le destin de la vraie fille de Ripley, morte de vieillesse avant le retour de Ripley sur Terre après hibernation. La version longue est d’ailleurs plus explicite que la version courte sur ce plan-là.
Chef d’oeuvre absolu, la perfection dans son genre… 20/20