Andrei Nekrassov, 2011 (France, Russie)
« Ce n’était pas seulement une idéologie,
c’était un univers, la matière de notre vie. » [1]
Le cinéaste russe Andrei Nekrassov [2] avec l’écrivain français Jean-François Colosimo et l’historien hongrois György Dalos proposent une fresque en six épisodes, de 52 minutes chacun, sur la fin de l’U.R.S.S. : des lézardes apparues dans le bloc après la conférence d’Helsinki en 1975, à la complète dislocation du système en 1991.
Adieu camarades ! se présente sous la forme d’une discussion entre un père (en voix off), nostalgique de l’idéologie soviétique, presque indulgent à l’égard du régime, et sa fille [3] qui, ayant vécu à l’Ouest et ayant fait des études d’histoire, apporte un regard plus critique, amer ou virulent. Ces deux personnages correspondent et leur point de vue sont alternés de manière à nuancer ou à contredire les interprétations. Leurs discours surtout se complètent. A l’opposé du manichéisme défini par chaque camp durant la Guerre Froide (doctrines Truman et Jdanov), le documentaire fait donc apparaître les événements dans une certaine complexité, tous enchâssés dans un contexte précis, circonscrits dans l’aire soviétique et dépendant à la fois d’un cadre national et international.
L’histoire présentée des dernières années de l’URSS est forcément fragmentaire, mais les documents d’archives [4] et les angles d’approche sont variés. Pour cet aperçu, participent des témoins de la plupart des anciennes républiques soviétiques (seule la Bulgarie est étrangement absente et l’Asie centrale peu évoquée). Il s’agit d’hommes politiques, d’anciens membres du KGB et d’anciens soldats de l’Armée Rouge, d’ouvriers, de chanteurs, d’activistes des droits de l’homme et d’autres opposants au régime. A travers eux, l’essentiel de la vie civile et culturelle est décrit, et la scène politique tout autant représentée.
Le documentaire fait la part belle à Gorbatchev, à l’époque de la Perestroika et de la Glasnost (quatre épisodes sur six) mais, si besoin, il s’autorise aussi quelques retours en arrière (pacte Molotov-Ribbentrop, Katyn ou le printemps de Prague…). Par ailleurs, de tous les événements racontés, certains retiendront davantage notre attention : la montée de Solidarnosk en Pologne au début des années 1980, l’originalité de la politique de Ceausescu en Roumanie, Tchernobyl en 1986 (véritable marqueur du délabrement intérieur de l’URSS), le rideau de fer déchiré en Hongrie et la fuite précipitée des premiers Allemands de l’Est, la montée de l’opposant Eltsine à partir de 1987 et le putsch avorté de 1991…
[1] Entretien accordé par Andrei Nekrassov pour Arte en décembre 2011, à lire sur le site d’arte.tv.
[2] Pour un peu le situer, Nekrassov est dans les années 2000 un opposant actif à la politique de Poutine.
[3] Contrairement au père, la fille apparaît à l’écran. Même si l’ensemble documentaire n’est pas autobiographique, la jeune historienne indignée est interprétée par la propre fille de Nekrassov. Comme un lien un peu facile avec notre époque, ses apparitions fréquentes, souvent devant un écran d’ordinateur face caméra, sont factices et manquent un peu de pertinence.
[4] De nombreuses télévisions européennes ont été sollicitées. Regrettons simplement que les archives soient mélangées et livrées sans information sur leur provenance. De plus, comme souvent à la télévision, elles ont tendance à servir de support visuel plutôt que de sources d’analyse (voir à l’inverse les meilleurs épisodes de la collection Mystère d’archives dirigée par Serge Viallet en 2009).
Adieu camarades ! est édité par Arte en dvd (sortie le 7 février 2012). p>