Lo Wei, 1971 (Hong Kong)
Né en 1940, Bruce Lee tourne des films depuis toujours. Il joue dans une trentaine de films au total, mais n’est vraiment connu que pour ses cinq derniers. Big Boss de Lo Wei est le premier grand succès de l’acteur sino-américain avant le suivant, La Fureur de vaincre (du même réalisateur en 1972).
Il ne faudra pas attendre bien longtemps devant le premier film de kung-fu vu de cette époque pour repérer les traits propres au genre. Dans Big Boss, les personnages sont naïfs, les bagarres continues, les sauts improbables et les cercles de combattants toujours recomposés. Quant aux chorégraphies, on les imagine aussi savamment préparées que, pour un tout autre type de danse, celles d’Astaire ou de Kelly vingt ou trente ans plus tôt. Question réalisation, on reconnaît vite des habitudes qui ont depuis été reprises, détournées, souvent moquées. Mais le style est vif, audacieux sinon impertinent, toujours marquant.
Le récit fait comme bon il lui semble, n’hésitant pas les débordements comiques (un coup de pied et un corps passant au travers d’un mur comme dans un cartoon par exemple), les outrances (du sang giclant comme dans un film de la Hammer ou, plus radical, un plan sur le corps poignardé d’un enfant) et même les incursions macabres (le héros découvrant dans la lumière rouge une usine de l’horreur). La trame est on ne peut plus simple. Elle se base sur la vengeance et il arrive que cela suffise.
Plus que le reste, c’est la musique qui m’a étonné. En fait, le Wikipedia anglais nous apprend que trois bandes originales existent. La musique de Wang Fu-ling sert à la première version du film tournée en mandarin (également projetée dans certains pays d’Europe). Une autre musique a été créée par le compositeur allemand Peter Thomas en 1974 pour l’exploitation du film à l’international. La bande originale que j’ai entendue est une troisième version qui, elle, a été composée en 1982 par le Hongkongais Joseph Koo.
Ce sont notamment les musiques additionnelles (peut-être employées sans accord) qui peuvent davantage surprendre, à savoir des extraits de titres des Pink Floyd, (The Grand Vizier’s Garden Party, part 2 pris sur Ummagumma, 1969, et Obscured by Clouds, venant de l’album éponyme, 1971), ainsi que de King Crimson (Larks’ Tongues in Aspic, part 2, dernier titre de l’album du même nom paru en 1973). Certains autres passages dominés par une guitare sèche sonnent à la Morricone. Ils pousseraient presque à un parallèle entre le cinéma d’arts martiaux hongkongais et le western spaghetti qui ne serait pas totalement dépourvu de sens. Cependant, certainement faut-il rappeler le statut géopolitique particulier de Hong Kong, alors en plein essor économique dans les années 1970, et l’influence de la culture britannique (plus largement européenne) sur le port géant chinois pour expliquer l’utilisation de ces musiques.
Au final, si la forme de Big Boss cumule aux yeux du contemporain style et excès, elle ne doit pas faire oublier le combat mené contre le boss du titre. Le film en cela n’est pas tout à fait étranger à une prise de position sociale, favorable à l’ouvrier. Il évoque, à sa façon certes, le droit de grève et la révolte des uns ainsi que la criminalité des autres. Quant à Cheng, qu’interprète Bruce Lee et qui sert un temps le patronat en tant que contremaître, il faut qu’il se rende compte lui-même des manœuvres assassines des employeurs pour revoir ses choix et enfin s’engager aux côtés des gens du peuple. Après le massacre à l’usine et au manoir, ni happy end ni long discours. Cheng part menottes aux poignets avec la police. Plus sobre que tout le reste comme s’il n’y avait d’importance que cette issue.