Terence Young, 1962 (Royaume-Uni)
Le premier Bond sur grand écran est un salaud, un infâme.
Il tue parce qu’on lui en a donné le droit. Un deuxième coup dans le dos, pour être tout à fait sûr. Dans la scène du bungalow à déco chinoise, avec l’agent double en nuisette, il décide de passer agréablement son temps, avant de se débarrasser de la belle ennemie, surprise et contrainte. Il couche avec et la jette. Même son attitude avec ses alliés est franchement méprisable. Quarrel (John Kitzmiller) qui, après les présentations faites, ne lui cherchait plus vraiment querelle, redoutait de partir sur l’île de Crab Key. Il craignait de rencontrer, tout comme Honey (la fille en maillot), le redoutable dragon qui s’y cachait. L’agent britannique et l’agent américain associés, sans respect aucun pour les croyances du coin, lui font comprendre que ce serait mieux pour la mission si Quarrel voulait bien malgré tout leur servir de guide là-bas. Arrive ce qui devait arriver, Quarrel rencontre le dragon mécanique et meurt de son feu. Même 007 reste impuissant face à la terrible machine et le voilà bientôt hôte du savant fou chinois. Quarrel s’est fait carboniser et pas un regard, pas un mot, rien de la part de Bond. Ce bon Quarrel avec qui on avait pourtant pris un verre près de la plage, discuté tourisme et espionnage, en un mot, avec qui on avait sympathisé, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Et tout le charme de Sean Connery n’y change rien, l’autre s’est montré utile et tant pis pour lui. Pauvre sort !
Il reste à James l’excellence professionnelle. Juste de quoi sauver le monde tout en épatant la galerie. Dans une île redoutée près de la Jamaïque, le Dr. No (Joseph Wiseman)a établi son repère : un antre souterrain chauffé par l’atome manipulé de ses mains de maître. Le Dr. No, comme « No to the West, no to the East », radioactif, malfaisant et perfide à en perdre le Nord. Un spectre à chasser, un réticent au modèle occidental à mater. A la fin du film, le premier génie du mal est défait, la réussite de la mission est totale ; une évidence du moment que le valet tueur de la reine d’Angleterre y a été associé. Sean Connery offre à Bond charme et virilité. La sympathie que l’on a pour l’acteur nous fait presque oublier la dépravation de la conduite de Bond, inversement proportionnelle d’ailleurs à l’ardeur investie au service de sa Majesté.
Et puis Terence Young fabrique le mythe. On peut voir Dr. No comme le récit d’un conte : le chevalier, l’amazone très pulp à ravir (Ursula Andress), le dragon à combattre, le seigneur du mal à tuer… A ceci près que les scénaristes (ou Flemming lui-même dans le roman, je ne sais pas) ont choisi de placer l’errance en mer dans l’épilogue plutôt qu’au cœur de l’odyssée. Il est vrai que, dans l’embarcation, Bond n’est pas tout seul… On notera cette curiosité que le récit relève également de l’avertissement prophétique de la plus fameuse des crises de la Guerre Froide, cette année 62, non pas en Jamaïque, mais sur la plus grande des îles voisines.
La réussite de Young est visible dès les premières images, le premier suspense, les trois aveugles comme dans un Tintin, et tous ceux qui esquissent un regard derrière des lunettes noires, un appareil photo ou sous une casquette. Dès les premiers plans, on se méfie de tous et de tout le monde. L’introduction du personnage est aussi bien sûr parfaitement iconique. La caméra vient chercher le héros et la rencontre nous marque autant qu’avec Ringo Kid dans La chevauchée fantastique (Ford, 1939) ou Indiana Jones dans ses premières aventures (Spielberg, 1981). Au casino, avec l’assurance qui le caractérise, l’espion incognito donne son nom à la poupée qui le lui demande. Le thème de John Barry est lancé, épinglé à jamais sur Bond. 007 est né à l’écran avec le Dr. No et, passent les époques, son retour ne paraît conditionné à aucune géopolitique, à aucun complot, ni aucune menace en particulier. Comme un diamant, Bond est éternel, ce que ne dément pas le titre du dernier en date… Mourir peut attendre (Fukunaga, 2020)…
Portrait de Bond en cynique ? Lequel est le fourbe entre le valet de la Reine et l’as du crime organisé ? Les deux mon commandeur. You say yes, I say No.
Très chouette article, à déguster avec un Dom Perignon, mais pas au dessus de 38°F (That’s just as bad as listening to the Beatles without earmuffs!)