Bryan Singer, 2013 (États-Unis)
« QUICKSILVER : PLUS VITE QUE LE FILM »
En 2000, c’est Singer qui ouvrit la voie cinématographique aux X-Men (et pour une nouvelle ère à succès aux super-héros en général). Après avoir laissé courir et voler (et se casser la gueule) par eux-mêmes certains d’entre eux, pour ce septième film impliquant les mutants de Marvel, c’est aussi lui qui reprend le contrôle en tant que réalisateur. Dans cet épisode, c’est encore lui qui pour la première fois propulse ses créatures dans le futur et qui ouvre, grâce à Shadowcat (Ellen Page en figurante), le portail spatio-temporel qui permettra à Wolverine (l’inlassable Hugh Jackman) de remonter le temps.
Bien que le décor soit tout autre, dans Days of future past, l’introduction rappelle le chaos sur lequel se concluait The last stand (Ratner, 2006). Singer dépeint un futur gris cendre, à la merci des machines, un simple point de départ pour un bond dans le temps. Un décor d’ouverture décevant car ayant servi ailleurs, un T-800 surgirait de ces ombres que ça ne surprendrait pas (voir Terminator 2 de Cameron, 1991). Des corps déversés par dizaines d’un gros engin et Singer ajoute une image qui peut se révéler gênante. Pas immédiatement, seulement après que des dizaines d’autres distrayantes et colorées la recouvrent. Puis, afin de ne pas laisser que la mort et le vide en ces lieux, dans cette même séquence d’introduction, Bryan Singer met vite en scène ses personnages et combine leurs pouvoirs. Les multiples propulsions et les téléportations colorées de Blink (Fan Bingbing aux yeux vert grenouille) et de Bishop (Omar Sy en plein effort) offrent alors quelque fulgurance, quoique ces mouvements nous rappellent aussi dans une certaine mesure les élans de Diablo dans la Maison Blanche (X-Men 2, 2003).
Days of future past prolonge ensuite le déroulé historique laissée par Matthew Vaughn, mais ne parvient pas à établir un lien aussi fort que First class (2011) avec l’Histoire (contrairement à ce que nous laissait d’ailleurs croire la publicité du film, « 25 moments in the struggle between X-Men and Mutants » [1]). On oublie donc qu’Erik Lehnsherr est un survivant de la Shoah et ni les scénaristes ni Singer ne font rien des cadavres entassés dans les premiers plans. De plus, ce qui surprend, Bryan Singer n’a vraiment rien de plus à dire que First class en terme de discrimination et d’acceptation de soi (la base même de la série) ; alors que le film de Vaughn déclinait plutôt avec adresse ces sujets-là et les intégrait particulièrement bien à la période décrite, à savoir la Guerre Froide et la crise des fusées de 1962. La déception sur ces points est grande.
Quid du divertissement ? Wolverine dans les années 1970 et tout redevient léger : un réveil au plumard avec gueule de bois, créature de rêve à ses côtés et inopportuns à calmer, un Nixon devenu le responsable de la destruction à venir de l’humanité (mais le président américain le plus impopulaire du XXe siècle est habitué à ces coups de scénaristes) et surtout la séquence magistrale de l’évasion de Magnéto du Pentagone, la seule séquence qui démontre, ou rappelle, la maestra de Singer. La ballade Time in a bottle dans le casque, le spectre de Dark side of the moon sur le torse, Quicksilver (Evan Peters) file tranquillement, plus léger et plus vite que le film [2], totalement cool. Il ne donne pas à Wolverine le temps de mordre son cigare, fige Magneto et Xavier dans leur brève inquiétude, change la trajectoire des balles du pouce et de l’index et, au milieu de tous ces corps et projectiles en suspension, réorganise, s’arrange et s’amuse.
Tout le talent de Singer n’aura donc pas été de passer de la Shoah aux fesses musclées de Hugh Jackman. Ni seulement d’accorder aux X-Men un deuxième commencement, un reboot adapté mêlant les distributions anciennes et nouvelles [3] ; de quoi ouvrir de nouvelles perspectives, vers Apocalypse par exemple. Sur le morceau de Jim Croce, durant la course de Quicksilver dont le visage paraît soufflé par la vitesse, Singer arrange un moment presque hors du film, une des plus belles scènes vues depuis longtemps dans un film de ce genre.
[1] « 1963 : The JFK assassination sparks a mutant controversy », « 1986, Chernobyl nuclear desaster : Soviet Union sees a rash of “mutant infants“ », « 1988, Berlin wall protest : Germany is the first nation to adopt mutant segregation policies », « 1994, Zapatistas ally with mutant supporters : The Zapatista resistance militia enlists the help of mutant soldiers »…
[2] Parmi toutes les incohérences que les pointilleux relèveront (par exemple, comment Xavier mort dans The last stand peut-il être ici présent ?) : l’album des Pink Floyd est sorti en mars alors que les accords de Paris sont signés en janvier 1973. On en déduit donc que Quicksilver est vraiment très rapide, au point que le personnage dépasse les seules limites du récit : Quicksilver va plus vite que le film.
[3] Patrick Stewart, Ian McKellen pour les anciens (Professeur Xavier et Magneto), les impeccables Michael Fassbender et James McAvoy (pour incarner les mêmes personnages plus jeunes), ou encore Jennifer Lawrence (Mystique), l’ingénieur anti-mutant Trask (Peter Dinklage)…
Je serai loin d’être aussi sévère que toi. Et totalement d’accord sur la scène de Quicksilver.
Pour ma part, les entrelacs du récit toujours cohérent, toujours lisible donnent à ce blockbuster de super héros une densité inattendue. Peut-être aussi ai-je apprécié que cette fois le thème de la différence et de l’acceptation de soi ne soient plus aussi lourdement exprimé que dans les films précédents. Enfin, j’ai trouvé justement que Singer avait plutôt bien retenu les enseignements de First Class. Bref, je me suis beaucoup amusé.
On peut lire que Singer devait déjà réaliser les deux précédents épisodes, mais qu’il a fini par les laisser à d’autres. Bryan Singer apparaît comme scénariste sur le film First Class et Matthew Vaughn, lui, (que les producteurs -dont Singer- avaient aussi un temps envisagé pour réaliser Days of future…) est crédité comme collaborateur au scénario de Days of future past. L’évocation de cet embrouillamini pour dire qu’il est difficile en tant que spectateur de savoir à qui revient ce qui se distingue de ces films, les bonnes idées comme les mauvaises.
La densité que tu remarques n’est que narrative, scénaristique (ce qui est déjà pas mal). Elle s’explique vite puisque l’histoire joue sur différentes chronologies et sur plusieurs personnages à la fois. Et le film, même si l’on est loin des constructions de Christopher Nolan (on est quand même tenté de s’y référer), est rendu parfaitement clair, tu as raison, par Singer.
Mais la densité, la complexité ou l’épaisseur ne touche pas vraiment les personnages. Ou seulement Magneto, mais tout cela se perd dans le reste. Il manquerait une scène ou quelques plans pour ancrer tout l’intérêt de ce personnage dans nos esprits. Peut-être suis-je passé à côté.
First Class avait davantage d’unité, temporelle par la force des choses puisque l’aventure ne s’appuyait que sur l’année 1962, et donnait plus de force à Magneto dont on voit l’avènement, depuis le camps de concentration jusqu’à l’affirmation de « sa politique ». Quel méchant dans Days of future past ? Rien n’est su de Peter Dinklage. Un nain avide de pouvoir qui fabrique des robots géants : c’est une première idée mais cela ne suffit pour que l’on s’y attache (cela même si l’acteur incarnant le magnifique Tyrion de Game of thrones nous plaît bien). Et Mystique qui est la clef de l’histoire ne pourrait-elle être aussi davantage valorisée ? L’histoire nous apprend beaucoup d’elle, mais on se contente des causes de ses agissements et de ses figures de gymnastiques (ce qui encore une fois n’est pas mal du tout !).
Oui absolument la densité est avant tout narrative. Je t’inviterais bien à lire ce que j’ai écrit mais c’est en cours de relecture chez mon acolyte très accaparé en ce moment. Je fais remarquer que Singer a su trancher dans le vif dans son casting pléthorique et dans son histoire. Ainsi, il est normal que Peter Dinklage ait un rôle très mesuré au profit du trio Magneto-Xavier-Mystique. Même la présence de Wolverine est allégée (disons qu’il accompagne le spectateur et introduit un brin de distance aux déclamations shakespaeriennes des mutants). C’est déjà pas mal comme tu le dis.
Et pour parler de Nolan, son dernier Batman ne fait plus montre de sa maîtrise habituelle (le cinéaste coincé dans la grotte avec son héros s’autorise ellipses maladroites et digressions pas très cohérentes).
Ainsi Magneto, tout comme Mystique, m’ont paru être des personnages qui poursuivaient de manière satisfaisante les lignes développées de l’opus précédent. Singer est producteur de tous les X-Men hors Wolverine mais sur la paternité de telle ou telle idée, je ne me prononce pas non plus !
Bonsoir, je dois dire que je n’ai pas boudé mon plaisir. Je suis fan de la série depuis le premier et je suis chaque fois éblouie par les effets spéciaux. Bonne soirée.